Le 5 juillet dernier, le secrétaire général du cabinet japonais M. Hayashi a révélé lors d’une conférence de presse qu’un navire de recherche océanographique chinois avait installé le mois dernier une bouée en haute mer sur le plateau continental japonais, autour de l’île d’Okinotori.
Bien que la Chine affirme que les bouées servent à l’observation des tsunamis et ne violent pas les droits souverains du Japon sur le plateau continental, il ne fait aucun doute que les bouées ont été installées afin de « surveiller le plateau continental dans la zone où sont réparties les ressources minérales contenant des métaux rares ».
Quel est l’objectif réel de cette installation de bouées par la Chine ? Cette stratégie dissimule les ambitions géopolitiques et militaires de la Chine, qui connaît bien le droit international.
Premièrement, il est nécessaire de se pencher sur l’endroit où les bouées ont été installées par la Chine, l’île d’Okinotori.
L’île d’Okinotori, entourée du petit cercle rouge dans l’image ci-dessus, est une petite île située au point le plus méridional du Japon. L’espace situé à l’intérieur du récif de l’île couvre une superficie d’environ 5,8㎢, soit environ un vingtième de la superficie de Paris.
Pourtant, l’île d’Okinotori est bien considérée comme une « île » au sens de la convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS), et le Japon a établi une zone économique exclusive (ZEE) et un plateau continental à partir de l’île. La zone bleue en pointillés sur la carte ci-dessus est la ZEE du Japon.
L’endroit où les bouées ont été placées par le navire de recherche océanographique chinois ne se trouve pas, cette fois-ci, dans la ZEE japonaise. Il s’agit de la zone maritime caractérisée par la ligne diagonale en rouge sur la carte ci-dessus, qui est définie par l’UNCLOS comme la haute mer.
Lors d’une conférence de presse organisée le 5 juillet dernier, la porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Mao Ning, a déclaré : « Des navires chinois ont placé des bouées en haute mer dans le Pacifique occidental. Conformément à l’UNCLOS, la haute mer est ouverte à tous les pays. Les États sont libres de mener des recherches scientifiques en haute mer ».
En effet, le paragraphe 1 de l’article 87 de l’UNCLOS autorise la liberté d’investigation scientifique des océans en haute mer.
À première vue, la revendication de la Chine semble correcte, mais les eaux en question ne sont pas de la haute mer dans le vrai sens du terme. En effet, cette zone s’étend sur le « plateau continental étendu » du Japon, reconnu par la Commission des Nations unies sur les limites du plateau continental et est reconnu comme un droit souverain du Japon à l’exploration et à l’exploitation des ressources naturelles.
Bien évidemment, le côté chinois sait que le plateau continental étendu du Japon se trouve dans les mêmes eaux. Pourtant, la Chine comprend bien qu’en vertu du droit international, le Japon ne pourrait pas retirer les bouées dans les mêmes eaux. Mais pourquoi ? Afin de trouver une bonne réponse à ce sujet, les différentes dispositions de l’UNCLOS relatives à cet événement doivent être revues.
D’abord, l’UNCLOS définit le plateau continental comme suit :
Les fonds marins de la zone située sous la surface de la mer au-delà de la mer territoriale et en dessous de celle-ci, en principe jusqu’à une distance de 200 milles marins de la ligne de base de la mer territoriale et jusqu’à certaines limites plus éloignées, si certaines conditions géologiques et topographiques sont remplies (Article 76).
L’État côtier exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles. (paragraphe 1 de l’Article 77)
Les droits visés au paragraphe 1 (n.b l’Article 77) sont exclusifs en ce sens que si l’État côtier n’explore pas le plateau continental ou n’en exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités sans son consentement exprès. (paragraphe 2 de l’Article 77)
L’UNCLOS définit également la haute mer comme ci-après.
La haute mer est ouverte à tous les États, qu’ils soient côtiers ou sans littoral. La liberté de la haute mer (n.b. y compris la liberté de la recherche scientifique) s’exerce dans les conditions prévues par les dispositions de la convention et les autres règles du droit international (paragraphe 1 de l’Article 87).
Comme le démontrent ces quatre points, l’UNCLOS ne reconnaît pas aux États côtiers le droit d’enlever les bouées et autres objets placés par d’autres États en haute mer (les eaux supérieures du plateau continental étendu). Il serait plus pertinent de dire qu’il n’y a pas de disposition sur le droit de retrait.
On peut également remarquer que le gouvernement japonais comprend bien les dispositions de l’UNCLOS. En fait, lors de la conférence de presse mentionnée ci-dessus, le secrétaire général du cabinet, M. Hayashi a fait référence aux quatre points suivants :
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- Il est déplorable que la mise en place du projet se soit faite sans que les détails de son objectif et de ses plans n’aient été fournis au Japon. Le gouvernement japonais a appelé la partie chinoise à fournir immédiatement des explications et des activités transparentes sur ce sujet.
- La Chine a expliqué que les bouées servent à l’observation des tsunamis et ne violent pas les droits souverains du Japon sur le plateau continental. Le gouvernement du Japon continuera à collecter et à analyser les informations relatives.
- La zone où la bouée a été installée se trouve en haute mer, au-delà de la juridiction de tout État, et tous les États sont autorisés à jouir de la liberté de navigation et de la liberté de mener des recherches scientifiques. Si les bouées devaient être utilisées à des fins de recherche scientifique sur le plateau continental du Japon, une notification préalable serait nécessaire en vertu de l’UNCLOS, mais la Chine a déclaré qu’elles ne se référait pas aux fonds marins mais à l’observation des tsunamis, et que la Convention n’impose donc aucune obligation de notification.
- S’il n’affecte pas la sécurité du trafic maritime dans la zone où il est installé ou les droits souverains de notre pays, on ne peut pas dire que l’acte pose immédiatement problème au regard du droit international.
Compte tenu de ce qui a été évoqué ci-dessus, il est difficile pour Tokyo de retirer les bouées placées par Pékin dans cette zone en vertu de la législation actuelle, mais Tokyo devrait recueillir des informations sur le placement des bouées par Pékin et examiner d’urgence si les États côtiers peuvent enlever les bouées installées par d’autres États en haute mer sur le plateau continental, où Tokyo peut exercer ses droits souverains.
Deuxièmement, il faut examiner les raisons pour lesquelles la Chine est allée jusqu’au Pacifique occidental pour installer des bouées dans les eaux autour de l’île d’Okinotori.
La raison est liée à la revendication de la Chine selon laquelle l’île d’Okinotori ne serait pas une « île » mais un « rocher ».
Jetons tout d’abord un coup d’œil sur la définition des « îles » et des « rochers » dans l’UNCLOS. L’article 121 de la convention stipule des « îles » et des « rochers » comme suit.
Une île est une étendue naturelle de terre entourée d’eau qui reste découverte à marée haute.
Sous réserve du paragraphe 3, la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et le plateau continental d’une île sont délimités conformément aux dispositions de la convention applicable aux autres territoires terrestres.
Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental.
En vertu du paragraphe 3 de cet article, Pékin affirme que l’île d’Okinotori est un rocher. Si Pékin a raison, que se passera-t-il ?
Dans ce cas, les droits territoriaux du Japon sur l’île d’Okinotori seraient niés et le Japon ne serait pas en mesure d’établir une ZEE ou un plateau continental à partir de cette île. En d’autres termes, la zone maritime autour l’île d’Okinotori (la zone écrite par la ligne diagonale en rouge sur la première carte) où la Chine a installé des bouées cette fois-ci devient la haute mer dans le vrai sens du terme.
Si cela devait se produire, les conséquences seraient très graves non seulement pour la pêche et la recherche océanographique du Japon, mais aussi pour la sécurité nippo-américaine.
La section suivante explique l’importance géopolitique et militaire d’île d’Okinotori pour les trois pays tels que le Japon, les États-Unis et la Chine.
Troisièmement, les aspects géopolitiques et militaires de l’ile d’Okinotori, rarement rapportés par les médias japonais, concernant l’installation de bouées par Pékin cette fois-ci, ne doivent pas être oubliés.
Comme le montre la carte ci-après, l’île d’Okinotori se situe entre la première et la deuxième ligne insulaire établie par la Chine.
La première ligne insulaire est la ligne qui va de la côte de Kyushu située au sud du Japon à la mer de Chine méridionale, reliant Okinawa, Taïwan et les Philippines. Elle est considérée par Pékin comme la ligne de défense minimale pour sa propre défense en cas d’imprévu à Taïwan, et pour empêcher les interventions militaires américaines.
Par contre, la deuxième ligne insulaire désigne celle de défense militaire reliant les îles Izu, situées au sud de Tokyo, à Guam/Saipan et à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Auparavant, la recherche maritime chinoise se limitait à la zone autour de la première ligne insulaire, mais ces dernières années, la recherche maritime a également été menée autour de la deuxième ligne insulaire.
En effet, une augmentation de l’activité des navires de recherche chinois dans les eaux entourant Guam a été constatée ces dernières années.
Le ministère japonais de la défense fait preuve d’une grande vigilance à l’égard de l’expansion maritime de la Chine.
En effet, le livre blanc 2020 sur la défense indique que « ces dernières années, on pense que la Chine cherche à développer des capacités opérationnelles dans des zones maritimes et aériennes plus éloignées, y compris la capacité de projeter des forces au-delà de ce que l’on appelle la première ligne insulaire dans la zone maritime qui comprend la deuxième ligne insulaire ».
Comme le montre la carte ci-dessous, l’île d’Okinotori est aussi située entre Guam et la Préfecture d’Okinawa du Japon, où se trouve la base militaire américaine.
Du point de vue de la Chine continentale, l’île d’Okinotori est un obstacle pour Pékin, qui ambitionne d’étendre sa présence maritime dans l’océan Pacifique.
L’île d’Okinotori est une base extrêmement importante pour les navires de la marine américaine, y compris les porte-avions à propulsion nucléaire, car elle se trouve sur le chemin le plus court vers l’ouest en direction du Japon et de Taïwan.
Si la Chine utilisait tous les moyens possibles, comme la pose de bouées près de l’île d’Okinotori, et que l’île devenait un « rocher », les droits territoriaux du Japon sur l’île seraient niés, il ne serait plus possible d’établir une zone économique exclusive ou un plateau continental à partir de cette île et la zone maritime autour de l’île deviendrait la « haute mer dans le vrai sens du terme”.
Même si l’UNCLOS reconnaît la « liberté de navigation » pour les navires militaires et civils, dans la zone économique exclusive et aussi en haute mer, et si les eaux autour d’île d’Okinotori devenaient la « haute mer » revendiquée par la Chine, ce qui permettrait aux navires de guerre chinois de naviguer plus facilement dans l’océan Pacifique, il serait, au contraire, plus difficile pour les navires japonais et américains de naviguer dans les eaux autour d’île.
C’est là que se trouvent les objectifs de la Chine. En cas d’imprévu à Taïwan, la Chine devrait être en mesure de contrer une attaque de l’armée américaine. Pour ce faire, la Chine recueille des données sur la topographie des fonds marins, la température de l’eau et les courants dans les eaux autour d’île d’Okinotori, et tente de garantir la liberté de navigation dans les eaux proches d’île afin d’empêcher à tout prix une intervention de la marine américaine.
De plus, la possibilité que la Chine craigne l’installation d’une base militaire sur l’île d’Okinotori par le Japon et les États-Unis ne peut être totalement exclue. En effet, la Chine elle-même a construit des îles artificielles en mer de Chine méridionale.
Voir les deux images ci-dessous. La première image montre le récif de Fiery Cross en mer de Chine méridionale en août 2014. À ce moment-là, il n’y avait qu’une seule installation existante.
Toutefois, environ six ans plus tard, le récif Fiery Cross a été transformé en une véritable base militaire de la Chine. Comme le montrent le document ci-après, des batteries de canons, des installations de radar et de communication et des pistes d’atterrissage ont été construites par les Chinois.
Le Japon a réalisé des travaux de protection côtière sur l’île d’Okinotori afin de protéger sa zone économique exclusive et son plateau continental, mais ces travaux n’ont pas été menés dans le cadre d’ambitions militaires telles que celles de la Chine.
Toutefois, si l’on se place du point de vue de la Chine, il n’est pas surprenant que ces travaux puissent être considérés comme “la même chose que la base militaire qu’elle construit en mer de Chine méridionale ».
Actuellement, l’île d’Okinotori n’est pas une plate-forme militaire, mais du point de vue de Pékin, il est difficile de nier complètement la possibilité que le Japon et les États-Unis transforment cette île en une plate-forme militaire dans le futur.
Dernièrement, comment le gouvernement japonais doit-il réagir à l’installation par la Chine de bouées dans les eaux autour de l’île d’Okinotori ?
Pour le moment, le Japon ne peut pas faire plus que ce qui est stipulé dans l’UNCLOS.
En effet, comme l’a déclaré le secrétaire général du cabinet M. Hayashi lors de la conférence de presse susmentionnée, il ne peut que prendre les initiatives suivantes :
- Demander aux autorités chinoises de fournir des explications et des activités transparentes.
- Rappeler à la Chine la nécessité préalable stipulée par l’UNCLOS s’il s’agit d’une étude scientifique de plateau continental du Japon.
À la suite de la déclaration de M. Hayashi, certains Japonais ont insisté comme suit.
« Le Japon est trop faible contre la Chine! »
« Retirez immédiatement les bouées, comme aux Philippines! »
Malheureusement, l’UNCLOS ne reconnaît pas le droit des États côtiers d’enlever les bouées et autres objets placés par d’autres États en haute mer (les eaux supérieures du plateau continental étendu). Il serait plutôt correct de dire qu’il n’existe aucune disposition sur le droit de les enlever.
Certes, l’année dernière, les Philippines ont retiré les bouées installées par l’administration maritime chinoise sur le récif de Scarborough, en mer de Chine méridionale, mais la base juridique sur laquelle cette mesure a été prise n’est pas claire.
En outre, comme il existe peu de pratiques étatiques concernant l’enlèvement des bouées installées par d’autres États dans la zone économique exclusive et en haute mer (eaux situées au-dessus du plateau continental étendu), on estime que le droit international coutumier l’autorisant n’a pas encore été établi à l’heure actuelle.
En tant que pays attaché au « règne de la loi » et au « respect de la loi », le Japon ne peut pas ouvertement enlever des bouées en ignorant le droit international, comme l’a fait la Chine.
Le gouvernement japonais doit recueillir d’urgence des informations sur l’installation des bouées et étudier la possibilité de les retirer conformément à l’UNCLOS.
La Chine suit de près la réaction japonaise suite à l’installation des bouées, sur la base de la collecte et de l’analyse de renseignements japonais.
La Chine connaît bien le droit international et a exploité une lacune dans la loi sur la pose des objets en haute mer (les eaux supérieures du plateau continental étendu).
Le Japon, mais aussi les pays du G7, qui attachent une grande importance au respect du droit international, devront former d’urgence du personnel connaissant le droit international afin de traiter correctement et juridiquement des situations telles que celle-ci dans le cadre du droit international.