Il est courant d’entendre affirmer que, en matière de littérature, il faut séparer l’homme de l’auteur. Cette affirmation, il est vrai, est souvent énoncée au sujet d’auteurs qui ont bien besoin que l’on ne prête pas trop attention à la manière dont ils se conduisent dans leur vie quotidienne, elle a donc souvent quelque chose de très intéressé qui la rend suspecte. Par ailleurs, séparer l’homme de l’auteur peut facilement être pris comme une excuse pour séparer la littérature de la moralité et pour ne pas examiner les effets complexes qu’une œuvre peut produire sur ceux qui la lisent. En ce sens, elle traduit souvent une forme de paresse intellectuelle.
Néanmoins, il est difficile de nier qu’elle contient un noyau de vérité : les talents littéraires d’une personne ne paraissent pas avoir de rapports directs avec ses qualités humaines. Plus précisément, la valeur d’une œuvre, sa profondeur comme ses qualités formelles, ne peut absolument pas être jugée à l’aune de la vie de celui qui l’a écrite. Pas même quand cette œuvre a des résonnances biographiques évidentes. Le fait, par exemple, que Louis-Ferdinand Céline ait, selon toute vraisemblance, été un personnage infect pendant la majeure partie de sa vie ne l’empêche pas d’avoir écrit l’un des livres les plus importants du 20ème siècle avec Voyage au bout de la nuit. Il serait stupide de s’interdire la lecture de ce chef-d’œuvre au motif que son auteur s’est roulé dans la fange de bien des manières. De même, ceux qui refusent de lire l’Emile au prétexte que Rousseau a abandonné ses enfants se privent d’un œuvre qui a très peu d’équivalents dans toute l’histoire de la littérature et de la philosophie occidentale et qui peut prétendre rivaliser avec La République de Platon.
Convenablement entendue, « séparer l’homme de l’auteur » est donc une maxime plutôt sage. On fera bien de la garder à l’esprit en lisant le dernier écrit publié par Michel Houellebecq : Quelques mois dans ma vie.
Michel Houellebecq ne peut sans doute pas être mis sur le même plan que les écrivains précités. Il n’est pas – pour le moment du moins – le Proust, le Céline ou le Faulkner du 21ème siècle. Néanmoins il est sans conteste l’un des romanciers français les plus importants de ces quarante ou cinquante dernières années. Son œuvre est traduite aujourd’hui en plus de quarante langues et il est probablement l’auteur francophone vivant le plus connu au monde. A 67 ans, Houellebecq est l’un des auteurs français qui vend le plus livres et l’un des rares qui puisse vivre confortablement de sa plume. Son dernier roman, Anéantir (2022), a été tiré à 300 000 exemplaires rien que pour sa première édition.
Ce succès n’est pas immérité car ses écrits (ses romans, ses essais et sa poésie, que Houellebecq lui-même considère comme la partie la plus importante de son œuvre) sont incontestablement puissants. Houellebecq se décrit lui-même comme le peintre de « l’avachissement » de l’homme occidental en ce début de 21ème siècle et il est en effet à son meilleur lorsqu’il dissèque la misère affective et sexuelle de ses contemporains.
A travers ses huit romans publiés jusqu’à maintenant, ainsi qu’à travers un certain nombre d’articles (rassemblés en grande partie dans deux volumes intitulés Intervention), Houellebecq a exploré bon nombre de thèmes et proposé des analyses intéressantes sur beaucoup de sujets (le tourisme sexuel, la mort de la paysannerie française, le transhumanisme, l’euthanasie, l’islamisation de la France, etc.), mais, d’une certaine manière, l’essentiel de son œuvre, ce qui fait sa force et son intérêt principal, se trouvait déjà dans son premier roman Extension du domaine de la lutte (1994).
Le narrateur d’Extension, un jeune informaticien d’une trentaine d’années qui sombre peu à peu dans la dépression, écrit au début du roman :
« Mon propos n’est pas de vous enchanter par de subtiles notations psychologiques. (…) Pour atteindre le but, autrement philosophique, que je me propose, il me faudra au contraire élaguer. Simplifier. Détruire un par un une foule de détails. J’y serai d’ailleurs aidé par le simple jeu du mouvement historique. Sous nos yeux le monde s’uniformise ; les moyens de télécommunication progressent ; l’intérieur des appartements s’enrichit de nouveaux équipements. Les relations humaines deviennent progressivement impossibles, ce qui réduit d’autant la quantité d’anecdotes dont se compose une vie. Et peu à peu la visage de la mort apparait dans toute sa splendeur. »
Puis, un peu plus loin :
« Cet effacement progressif des relations humaines n’est pas sans poser certains problèmes au roman. (…) La forme romanesque n’est pas conçue pour peindre l’indifférence, ni le néant ; il faudrait inventer une articulation plus plate, plus concise et plus morne. »
Cette impossibilité de former des liens humains authentiques, la solitude radicale de l’homme moderne, n’est certes pas un thème nouveau. Il forme par exemple le fond du Voyage au bout de la nuit, et on peut déjà le discerner dans L’Education sentimentale, de Flaubert (1869). Mais Houellebecq a su le renouveler, notamment en inventant ce style qui lui semble nécessaire pour peindre convenable le néant qu’il voit au cœur de nos vies : un style plat, concis, morne, qui transpire un désespoir poisseux et qui cependant n’est pas dépourvu d’un humour assez caustique.
Un second thème qui traverse toute son œuvre, et qui est évidemment lié au premier, est les ravages produits par la libération sexuelle des années 1960.
Les réflexions désabusées du narrateur d’Extension le conduisent ainsi à cette conclusion, souvent citée :
« En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d’autres sont réduits à la masturbation et la solitude. Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. »
Il n’est pas besoin d’adhérer à la première partie de la proposition, concernant le libéralisme économique, pour constater, comme le fait Houellebecq à travers son personnage, que la libération des mœurs n’a nullement conduit au bonheur promis, mais plutôt à une immense confusion et à beaucoup de solitude involontaire.
Cette observation sur les méfaits du libéralisme sexuel, en termes « d’inégalités de richesse », doit être rapprochée d’une autre, exposée vers la fin du roman : « Véronique avait connu trop de discothèques et d’amants ; un tel mode de vie appauvrit l’être humain, lui infligeant des dommages parfois graves et toujours irréversibles. L’amour comme innocence et comme capacité d’illusion, comme aptitude à résumer l’ensemble de l’autre sexe à un seul être aimé, résiste rarement à une année de vagabondage sexuel, jamais à deux. »
Dans ses écrits ultérieurs, Houellebecq a approfondi ces affirmations, les a nuancées, enrichies, mais il ne les a jamais reniées. Ce qui fait d’ailleurs de lui une des bêtes noires des féministes contemporaines, ou peut-être faudrait-il dire que les féministes contemporaines font parties de ses bêtes noires, auxquelles il manque rarement de lancer quelques piques acérées et en général très drôles. Le féminisme contemporain a parmi ses dogmes l’idée que les femmes ne pourront être pleinement émancipées que le jour où elles seront capables d’avoir une sexualité « virilement indépendante », comme le dit Simone de Beauvoir, c’est-à-dire d’être aussi cavaleuses que les hommes (tels du moins que les féministes imaginent les hommes). Houellebecq juge à l’évidence cette idée profondément stupide et ne s’est pas privé de le dire, de multiples manières.
(À ce propos, on lira avec profit la postface qu’a écrit Houellebecq pour la traduction française de SCUM manifesto, postface qui commence ainsi : « Pour ma part j’ai toujours considéré les féministes comme d’aimables connes, inoffensives dans leur principe, malheureusement rendues dangereuses par leur désarmante absence de lucidité . »)
Ces permanences des écrits houellebecquiens rendent d’autant plus étrange la lecture de Quelques mois dans ma vie. Dans ce court texte, Houellebecq décrit comment, selon lui, sa vie est devenue « un enfer » à partir de l’automne 2022. En cause : une interview donnée à une revue nommée Front populaire et un film pornographique dont il est la vedette.
Dans Quelques mois dans ma vie, Michel Houellebecq s’emploie à faire machine arrière […]
Dans l’interview à Front populaire, Houellebecq laissait libre cours à sa profonde méfiance envers l’islam, pour ne pas dire plus. Une méfiance qu’il avait déjà eu l’occasion d’exprimer à plusieurs reprises depuis le début des années 2000 (dans son troisième roman, Plateforme, paru en 2001, le père du narrateur est tué par un musulman, parce qu’il avait couché avec sa sœur, et Valérie, son grand amour, est tuée lors d’un attentat islamiste en Thaïlande). Ces propos peu amènes pour les musulmans ont valu au romancier des menaces de procès de la part du recteur de la Grande Mosquée de Paris ainsi que de violentes attaques de la part d’une partie des médias français. Dans Quelques mois dans ma vie, Michel Houellebecq s’emploie donc à faire machine arrière, en reconnaissant sa « bêtise » et en reformulant ses propos de manière à les rendre beaucoup plus inoffensifs.
Cette partie de Quelques mois dans ma vie ne mérite guère de retenir notre attention. Il est patent que Houellebecq a simplement peur et qu’il cherche à éviter les ennuis. Les ennuis avec la loi française qui, hélas, criminalise en effet le genre de propos qu’il a tenu en les qualifiant « d’incitation à la haine raciale ». Mais aussi, et peut-être surtout, les ennuis avec les musulmans, certains d’entre eux n’ayant que trop prouvé, depuis plus d’une vingtaine d’années, qu’ils étaient prêts à recourir à l’assassinat dès lors qu’ils estiment qu’on a « manqué de respect » à leur religion. On peut pardonner beaucoup de choses à un homme qui a peur d’un danger avéré et, au surplus, Houellebecq n’a jamais prétendu être quelqu’un de courageux. Sa triste palinodie n’offre donc rien de vraiment intéressant. Elle n’occupe d’ailleurs que peu de place dans Quelques mois dans ma vie. L’essentiel de ce court récit est consacré à ses démêlés avec un obscur réalisateur néerlandais nommé Stefan Ruitenbeek.
Nous apprenons ainsi que Michel Houellebecq s’est laissé convaincre par ledit Ruitenbeek de tourner un film pornographique, mais qu’il avait omis de lire avec suffisamment d’attention le contrat qui les liait. Il croyait avoir accepté de figurer dans le film, avec son épouse, « sous réserve que leur anonymat soit préservé ». Ce qui bien sûr n’a pas été le cas. Et il n’avait pas non plus pris garde au fait que le contrat donnait au réalisateur une totale liberté d’exploiter les images ainsi obtenues. Bref, Michel Houellebecq s’est aperçu, mais un peu tard, qu’il était en passe de devenir une star internationale du porno en plus d’être un écrivain mondialement célèbre. Ou plus exactement, qu’il allait devenir une star internationale du porno parce qu’il est un écrivain mondialement célèbre.
Même un enfant de douze ans pas spécialement intelligent aurait compris, en effet, que, si Stefan Ruitenbeek voulait tourner un film pornographique avec Michel Houellebecq, c’était afin d’exploiter la célébrité littéraire de ce dernier et qu’il était donc pour le moins improbable qu’il préserve son anonymat. Un enfant de douze ans, mais pas Michel Houellebecq.
Et qu’est-ce donc qui a pu convaincre le grand écrivain presque septuagénaire de se mettre dans une situation si embarrassante ? Tout simplement la perspective d’avoir de la chair fraiche à se mettre sous la dent. Nous apprenons ainsi que Michel Houellebecq apprécie particulièrement d’avoir deux femmes dans son lit et qu’il est, assez manifestement, toujours en quête de nouvelles partenaires pour ses trios intimes. Voilà « l’appât » qu’a utilisé Stefan Ruitenbeek pour le prendre dans ses filets. Par ailleurs, nous dit Houellebecq, il souhaitait depuis longtemps réaliser des vidéos pornographiques avec son épouse « dans un but privé ». Or, nous explique-t-il longuement, il est impossible de parvenir à un résultat satisfaisant sans l’aide d’une tierce personne, de préférence une tierce personne ayant l’expérience du cinéma… ce qui était le cas de Stefan Ruitenbeek. Et voilà toute l’histoire !
Les explications alambiquées de Houellebecq au sujet de la nécessité d’être filmé par autrui pour faire des vidéos « dans un but privé » sont encore moins convaincantes que ses explications au sujet de ce qu’il a « vraiment » voulu dire à propos de l’islam dans son entretien pour Front Populaire, si cela est possible. En fait, pour qui apprécie l’œuvre de Houellebecq, la lecture de Quelques mois dans ma vie est assez pénible. Tout ce qui fait l’intérêt de ses romans ou de ses articles est notoirement absent : on n’y trouve ni finesse, ni humour, ni observation intéressante, ni auto-dérision, rien d’autre que le récit ennuyeux et légèrement répugnant des déboires d’un sexagénaire libidineux qui se présente comme une victime mais qui, en réalité, est largement puni par où il a péché.
En lisant ses laborieuses justifications, il est difficile de ne pas donner raison à Houellebecq lorsque, à plusieurs reprises dans le livre, il s’accuse d’être « stupide ». Et même doublement stupide : stupide en premier lieu d’avoir tourné un film pornographique qui ne pouvait en aucun cas rester « privé » et stupide en second lieu de ne pas comprendre que Quelques mois dans ma vie, loin de dissiper le malaise, allait au contraire le renforcer.
Pourtant, toute l’œuvre de Houellebecq prouve, au-delà de tout doute possible, qu’il est très loin d’être stupide. Comment donc comprendre qu’il puisse ici tomber si en-dessous du niveau habituel de son intelligence ?
Le problème, apparemment, est que l’auteur d’Extension du domaine de la lutte et des Particules élémentaires, ne fait aucune application à se propre vie des observations perspicaces dont il emplit ses romans. Houellebecq pratique ainsi abondamment le vagabondage sexuel dont il décrit les méfaits chez ses personnages : la fidélité conjugale, explique-t-il, est une attitude « extrême » et dont il se garde bien. Il estime que la pudeur est « un sentiment louche dont la disparition serait plutôt souhaitable ». L’exhibitionnisme est, selon lui, un acte de générosité, qui a même quelque chose « d’admirable » ; être prostituée est un métier « honorable et noble » ; la pornographie est « un divertissement innocent », car la sexualité « normale » n’a rien à voir avec le mal. En fait, sexualité et morale sont « deux figures géométriques » qu’il est impossible de faire coïncider et la sexualité a été « la plus grande joie » de sa vie, etc.
Bref, Michel Houellebecq parait adhérer totalement, dès lors qu’il s’agit de lui-même, aux sornettes hippies sur l’amour libre, la sexualité innocente, le plaisir sexuel sommet de l’existence et autres choses du même genre. Les mêmes sornettes dont il se moque si cruellement dans Les particules élémentaires, par exemple.
La sexualité est donc fondamentalement innocente. Pourtant, Houellebecq affirme que, en réalisant que des images de ses coïts allaient être diffusées sans son consentement, il a ressenti quelque chose qui lui parait semblable à ce que décrivent les femmes victimes de viol : « D’abord une douloureuse sensation de dépossession de son propre corps, une sourde hostilité à son égard, un désir de le punir. (…) j’étais traversé par des vagues de rage impuissantes, mais parfois aussi je me recroquevillais transpercé par la honte. »
Cependant, n’est-il pas étrange que de simples images volées puissent déclencher une telle réaction ? Michel Houellebecq aurait-il ressenti la même honte et la même rage s’il avait été filmé à son insu au restaurant ou dans sa cuisine, en train de manger tranquillement ? Plus largement, le viol est-il simplement équivalent au fait que l’on vous impose quelque chose, contre votre volonté ? Si l’on vous force à manger quelque chose, est-ce identique au fait d’être violé, par exemple ?
Ou bien ces sentiments extrêmes de colère et de dégoût de soi-même seraient-ils une indication que la sexualité n’est pas une activité comme une autre ? Que peut-être la sexualité est, chez l’être humain, intrinsèquement liée au sens de la honte et que, par conséquent, la pudeur, loin d’être un sentiment « louche » et inutile, est, pour nous, naturelle et appropriée ? D’où il découlerait que l’exhibitionnisme serait une perversion de la sexualité humaine, la prostitution une activité ignoble, la pornographie un divertissement tout sauf innocent, et ainsi de suite.
Ces considérations semblent élémentaires, et on conçoit difficilement qu’elles ne soient jamais venues à l’esprit de Michel Houellebecq. Mais, pour paraphraser Le Fédéraliste, il est très difficile de faire comprendre quelque chose à un homme lorsque ses plaisirs dépendent du fait qu’il ne le comprenne pas.
La lecture de Quelques mois dans ma vie m’a ainsi rappelé un débat public auquel j’avais assisté il y a quelques années et dont Houellebecq était l’un des protagonistes. Le thème de la soirée était « L’Europe ». A un moment donné, Houellebecq a posé cette question : « Est-ce que « c’était mieux avant ? ». Il n’avait pas de réponse certaine à apporter, mais a-t-il ajouté : « Ce dont je suis sûr c’est que c’était plus intéressant avant. La vie était plus intéressante. Les gens étaient plus intéressants. »
Houellebecq sait sans doute que, si « les gens étaient plus intéressants avant », c’est parce que « avant » les gens étaient moins, ou se concevaient moins comme, de purs individus. « Avant », les êtres humains étaient encore, au moins un peu, des citoyens, des chrétiens, des pères et des mères de famille. « Avant » « les gens » étaient moins avachis moralement : ils prenaient encore un peu au sérieux leurs devoirs civiques, leurs devoirs familiaux et conjugaux, ils craignaient encore un peu l’enfer et aspiraient au salut de leur âme.
Seulement Houellebecq, tout comme ses personnages, ne parvient pas à croire à Dieu, ni à la patrie, ni à la vertu, ni à la famille, à toutes ces choses qui rendaient les gens plus intéressants « avant ».
« C’est absurde de dire que sans l’Europe nous aurions la guerre », ajoutait-il lors de ce même débat. « Plus personne aujourd’hui ne veut faire la guerre. Plus personne. Moi-même je sais bien que, si on m’avait dit, quand j’étais jeune : « Tu vas aller faire la guerre pour ton pays », « je me serais enfui ! »
En réalité, si la France était entrée en guerre et qu’il avait été appelé sous les drapeaux, le plus probable est que le jeune Michel aurait répondu à l’appel de la patrie, bon gré mal gré, comme les autres jeunes gens de sa génération, qui pas plus que lui n’avaient envie de partir à la guerre. Et peut-être même serait-il mort avec les honneurs. Comme beaucoup d’autres jeunes gens qui, comme lui, ne se pensaient ni spécialement courageux ni spécialement patriotes, avant que vienne l’heure décisive.
Mais Houellebecq dit publiquement qu’il se serait enfui. Parce que la vertu l’encombre et qu’il ne veut surtout pas avoir l’obligation d’essayer d’être courageux. Et parce qu’il ne parvient pas à prendre l’appartenance nationale tout à fait au sérieux, tout en regrettant sincèrement l’effacement des nations, qui rend la vie tellement moins intéressante.
Il y a bien sûr un lien direct entre ce « je me serais enfui » et son « les gens étaient plus intéressants avant ». Houellebecq déplore que la vie et les gens deviennent moins intéressants et il peint remarquablement cette perte de substance progressive des relations humaines, cette neige de cendres qui étouffe peu à peu l’Occident. Mais, par la peinture, légèrement outrée, qu’il en donne dans ses livres, ainsi que par ses déclarations publiques, il contribue à accentuer le phénomène.
On pourrait dire : en se rendant la vie plus facile individuellement (car, certainement, il est plus facile d’être avachi que de se tenir droit), il contribue à rendre la vie moins intéressante collectivement, et donc la sienne aussi en particulier.
Quelques mois dans ma vie n’est certes pas un écrit qui fait honneur à Houellebecq et il se pourrait bien que, dans son for intérieur, il commence déjà à regretter de l’avoir publié, exactement de la même manière qu’il dit regretter aujourd’hui amèrement d’avoir tourné un film pornographique. Cet écrit médiocre a cependant un mérite : nous savions qu’il était sage de séparer l’homme de l’auteur, dans une certaine mesure, nous apprenons maintenant que, étrangement, il est parfois des choses importantes que l’auteur sait mais que l’homme ignore.