De nombreuses menaces de grève planent sur les Jeux Olympiques qui se dérouleront dans notre pays cet été : éboueurs, cheminots, et policiers municipaux se sont déjà manifestés. Voilà donc, à nouveau, que cette grande centrale syndicale qu’est la CGT, et à sa suite plusieurs autres syndicats ouvriers, entreprennent, sans aucun scrupule, d’entraver la marche de notre société. C’est bien, d’ailleurs, dans la vocation de la CGT. Sophie Binet qui en a pris récemment la direction, semble ne pas l’oublier.
Il faut, en effet, se remettre en mémoire la date de 1906 qui est celle du grand Congrès d’Amiens où la CGT a fixé la manière d’opérer du syndicalisme en France. Cette date de 1906 est historique car c’est à l’occasion de ce congrès qu’a été élaborée la fameuse « Charte d’Amiens » qui a donné aux travailleurs de notre pays la mission de transformer la société, avec pour objectif « l’expropriation capitaliste», c’est-à-dire rien de moins que l’appropriation par la classe ouvrière de tous les outils de production de la nation. Notre économie a été profondément bouleversée par la façon dont le syndicalisme, dans notre pays, a conçu son rôle, et a opéré ; et il a fallu que le patronat compose avec cette charte qui s’est inscrite profondément dans l’ADN du syndicalisme en France.
Il est donc utile de rappeler la façon dont le syndicalisme de notre pays a conçu sa mission : il s’est voulu révolutionnaire, et nous en subissons, encore aujourd’hui, les conséquences. Le syndicalisme français, dans son histoire, a été très fortement pénétré par l’idéologie marxiste, et son action a en permanence entravé le bon fonctionnement de notre économie. Il y eut, comme éléments marquants, le Front Populaire en 1936 avec ses occupations d’usines, ses nationalisations, et l‘effondrement presque total des structures politiques existantes ; puis, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’application du programme du Conseil National de la Resistance, le fameux «CNR », avec son cortège de nationalisations : les mines, l’énergie, les compagnies d’assurances et les grandes banques, les moyens de transports, plusieurs grandes sociétés industrielles, etc… Et, en 1981, l’arrivée au pouvoir à nouveau des communistes avec François Mitterrand et son « programme commun de la gauche», ce qui conduisit, une fois de plus, à un très grand nombre de nationalisations.
La France a donc dû vivre, en permanence, avec un syndicalisme ouvrier qui a été en lutte avec les patrons, un syndicalisme voulant être le ferment d’une révolution économique et sociale. A l’inverse, les pays nordiques et la Suisse ont su se doter d’un syndicalisme d’un tout autre genre, un syndicalisme réformateur qui a eu l’intelligence de collaborer avec les partis politiques pour améliorer le sort des travailleurs. Par conséquent, notre niveau de richesse se trouve être, aujourd’hui, considérablement inférieur à celui de bon nombre de nos voisins européens.
Dans notre pays, les chefs d’entreprise ont été constamment entravés dans leur action par l’hostilité des syndicats, et ils se sont trouvés bridés par un Code du travail très lourd. En Allemagne, la collaboration des syndicats avec la Sozialdemokratie a permis de déboucher sur la cogestion des entreprises. En Suisse il y eut « La paix du travail » en 1937, un accord par lequel il a été convenu que les conflits du travail seraient réglés dorénavant par des négociations et non plus par des grèves ou des lock-out. Avec la cogestion, les salariés allemands participent à la gestion des entreprises, et en Suisse il n’y a jamais de grèves. En France, du fait de la position adoptée par la CGT au congrès d’Amiens, on en est restés à la lutte des classes. Le tableau ci-dessous donne une indication de ce qu’est le climat social en France :
La Charte d’Amiens
Le Congrès d’Amiens de 1906 était le IXe congrès confédéral de la CGT. Les congressistes eurent à arbitrer entre 3 motions différentes : celle des Guédistes qui proposait de subordonner le syndicat au parti socialiste, celle d’Auguste Keufer qui avait un caractère strictement économique, et celle de Victor Griffuelhes (le secrétaire général de la CGT) qui fixait comme objectif l’expropriation capitaliste avec comme moyen d’action la grève générale. C’est la motion de Victor Griffuelhes qui triompha avec 830 voix sur 839 votants, une quasi-unanimité. Ainsi, a-t-il été donné au syndicalisme, en France, il faut le rappeler, pour rôle de transformer la société par l’expropriation capitaliste : et la motion adoptée stipulait que le syndicalisme doit « agir directement, en toute indépendance des partis politiques », se suffisant à lui-même avec la grève générale comme moyen d’action. Et il était précisé, dans cette motion : « Le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, demain groupement de production » : l’objectif final était donc bien une société à la façon dont, plus tard, les bolcheviques l’instaureront en Union soviétique, avec les résultats que l’on sait.
La spécificité du syndicalisme français.
Le syndicalisme français s’est positionné comme révolutionnaire : il a eu deux caractéristiques : la lutte des classes, et l’action directe plutôt qu’une collaboration avec les partis politiques.
Un syndicalisme à caractère révolutionnaire
Avec la motion de Griffuelhes, il y a eu intégration de l’anarchisme au marxisme. Après le congrès d’Amiens survint la première guerre mondiale, ce qui obligea la CGT à mettre en sommeil son militantisme. Au lendemain de la guerre, le caractère révolutionnaire de la CGT a déplu à une partie des syndicalistes, et il se créa, en 1919, la « Confédération française des travailleurs chrétiens », la CFTC, en référence à l’encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII ; mais il s’agissait là d’un groupe très minoritaire. Survint, ensuite, la grave crise économique de 1929, et, à nouveau, l’action de la CGT se trouva paralysée. Ce ne fut donc, finalement, que lorsque la situation redevint normale que la CGT put agir, et on eut ainsi, en 1936, le « Front Populaire », un mouvement lancé pour « rattraper le retard pris par la IIIe République ». Les premières grèves eurent lieu dans l’aéronautique, et elles se propagèrent très vite dans tout le pays : on en compta un peu plus de 12.000, dont 9.000 avec occupation d’usines.
Finalement, la France se trouva complètement paralysée, et le 7 juin, à l’initiative du gouvernement, le patronat et les syndicats signèrent les « Accords Matignon ». Il y eut, ainsi, une forte augmentation des salaires, les premiers congés payés (15 jours), et une semaine de 40 heures au lieu de 48 heures ; on nationalisa les usines d’armement, la Banque de France fut mise sous tutelle, et la SNCF fut créée l’année suivante, en 1937. Il y eut, comme conséquence immédiate, une forte dévaluation du franc par Léon Blum. Et, pendant que les Français faisaient la révolution, de l’autre côté du Rhin, Hitler réoccupait la Rhénanie et réarmait intensément l’Allemagne, tout ceci en violation des clauses du traité de Versailles.
Arriva, en 1939, la seconde guerre mondiale où l’armée française fut foudroyée, en 6 semaines, par la Wehrmacht. Pendant l’occupation, dans la clandestinité, la CGT et la CFTC, qui s’étaient réconciliées, préparèrent un programme qui prévoyait le « retour à la nation des grands moyens de production, des richesses du sous-sol, des grandes banques et des compagnies d’assurance » : c’est ce que l’on a appelé le « programme du CNR », le Conseil National de la Résistance. Il y eut ainsi, à la libération du pays, un nombre considérable de nationalisations : les Houillères, Renault, Gnôme –Rhône, la Snecma… ; ensuite, le secteur bancaire, les assurances, et les compagnies de gaz et d’électricité. Il y eut deux grandes avancées : la Sécurité sociale et les Comités d’entreprise, et l’on inscrivit le droit de grève dans la Constitution.
Les communistes, avec la victoire des soviétiques sur l’Allemagne se sentirent pousser des ailes et ils inféodèrent complètement la CGT au parti communiste, ce qui renforça beaucoup sa puissance. De son coté, la CFTC abandonna sa référence au christianisme pour devenir la CFDT (Confédération démocratique du travail). En d’autres syndicats ouvriers prirent naissance : FO, UNSA, FSU, etc.
Un syndicalisme optant pour l’ « action directe »
La charte d’Amiens a posé pour principe fondamental l’indépendance du syndicalisme à l’égard des partis politiques et des religions. Les congressistes d’Amiens ont considéré que pour faire une révolution il fallait des hommes de terrain unis par le fait qu’ils appartiennent à la même classe sociale, alors que les socialistes voulaient procéder pacifiquement à une transformation par le haut. En Allemagne, il y a eu association avec le parti socialiste : chez notre voisin, le syndicalisme n’a donc pas eu un caractère révolutionnaire, et il a opéré par des négociations.
Les conséquences, au plan économique
La charte d’Amiens a bien constitué l’ADN du syndicalisme français. L’objectif visé, à savoir « l’expropriation capitaliste », n’a pas été atteint, mais il s’en faillit de peu au lendemain de la dernière guerre mondiale : c’est par son habileté politique que le général de Gaulle permit d’éviter le pire. La France est donc bien restée un pays capitaliste, avec une économie libérale, mais la façon dont son économie fonctionne est fortement imprégnée par l’idéologie qui a été celle de nos syndicats. On a affaire à un Etat omniprésent dans la vie économique, un Etat très protecteur, les « acquis sociaux » gagnés de haute lutte par les syndicats sont considérables (durée de la vie active, nombre d’heures travaillées par an, âge de départ à la retraite, etc…), et notre pays se caractérise par des dépenses sociales extrêmement élevées, les plus importantes en regard du PIB de tous les autres pays. En conséquence, nous avons des prélèvements obligatoires record et un droit du travail très favorable aux salariés. Il en résulte que notre pays, qui a vu son secteur industriel s’amenuiser d’année en année, ne produit plus suffisamment de richesses, a une balance commerciale sans cesse déficitaire, des dépenses publiques chaque année supérieures aux recettes, et un endettement extérieur qui est devenu extrêmement important.
Il reste maintenant à nos gouvernants à redresser la situation.