La crise du logement dont souffrent les habitants de certaines zones dites “tendues” en France est caractérisée par de fortes pénuries de logements à louer, la rareté des transactions, et des prix de vente et des loyers élevés. Elle a des conséquences directes sur la vie des foyers qui y résident : une part importante du revenu est consacrée au loyer, la difficulté de se loger réduit la mobilité professionnelle, la surface des logements par occupant diminue etc. Cette crise – le nombre de logements mis en chantier en 2023 n’a jamais été aussi bas depuis 1996 – existe depuis longtemps dans certaines agglomérations, en particulier à Paris et dans les grandes villes, dans les zones touristiques, mais son ampleur s’est accentuée récemment. Le logement social n’est pas épargné par cette pénurie, ni le logement intermédiaire qui concerne la classe moyenne.
Inversement, dans d’autres zones non tendues, souvent rurales, il n’y a pas de pénurie et les prix ont baissé au point de permettre jusqu’à récemment à des locataires d’acheter leur résidence principale avec une mensualité inférieure à leur loyer.
Ce constat montre une réalité très inquiétante sur laquelle s’est penchée récemment une commission sénatoriale, et le gouvernement étudie actuellement un projet de loi pour développer le logement abordable, c’est-à-dire social et intermédiaire.
Les mesures proposées par le Sénat et par le gouvernement
Les sénateurs proposent des mesures pour relancer l’offre à court terme : donner aux maires les moyens de réglementer sévèrement les meublés de tourisme partout où ces locations provoquent un effet d’éviction sur l’habitat permanent, repousser à 2028 au lieu de 2025 l’interdiction de location des logements classés G, relancer l’accession à la propriété, remplacer le dispositif Pinel par un autre dispositif de défiscalisation, faciliter la transformation de bureaux en logement, rendre constructibles les friches, lutter contre la vacance et la déshérence des logements. Certaines de ces propositions sont déjà en vigueur.
A long terme, la commission sénatoriale propose une réflexion d’ensemble sur la politique du logement débouchant sur une loi de programmation visant à offrir un logement pour tous et réaffirmant le modèle du logement social. Cette loi faciliterait le déblocage du parcours résidentiel des classes moyennes en élargissant le prêt à taux zéro et promouvant des formules comme le bail emphytéotique fréquent au Royaume-Uni. Un autre objectif serait la reconnaissance de la contribution sociale et économique du bailleur privé, à égalité avec les autres secteurs économiques, et une modification de la fiscalité s’inspirant de celle de l’Allemagne, pour développer le logement libre pénalisé en France par une fiscalité décourageante, une protection des locataires abusive et une lenteur de la justice insupportable.
Le projet de loi présenté par le gouvernement concerne le logement social. Il « repose sur une conviction : seule la confiance que nous accorderons aux maires, par des outils innovants, permettra une relance durable de la production de logements. ». Quatorze articles renforcent le pouvoir du maire : dans la construction et l’attribution de logements sociaux neufs, dans la “densification douce” pour encourager l’augmentation des surfaces des immeubles déjà construits, dans la vente directe aux locataires du logement social pour financer de nouveaux investissements.
Il s’agit aussi d’inclure dans les objectifs de production de la loi SRU la construction de logements intermédiaires et d’en augmenter le nombre pour favoriser la mixité sociale, et de créer un nouvel outil de préemption pour réguler le prix des terrains. Les bailleurs sociaux pourront ajuster les loyers des logements anciens à la relocation, exiger des locataires dont le patrimoine et les revenus dépassent le plafond de libérer le logement qu’ils occupent, renforcer les compléments de loyers pour les locataires dont la situation s’améliore, ouvrir le logement social au bail mobilité de courte durée.
Commentaires
Certaines des mesures proposées dans le projet de loi sont déjà contestées par les associations de défense des locataires des logements sociaux, en particulier l’attribution aux maires de l’affectation des logements sociaux neufs, l’intégration du logement intermédiaire dans les 20 % ou 25 % de logements sociaux imposés par la loi SRU, et le départ des locataires dont le revenu dépasse le plafond y donnant droit. La première risque effectivement de générer un clientélisme électoral et une politique du logement discriminatoire. La seconde diminue la part des catégories populaires au profit de la classe moyenne. La troisième ne libérerait qu’un très faible nombre de logements.
Craindre le clientélisme électoral revient à supposer qu’il n’y a pas de passe-droit dans le système actuel. L’intégration de logements intermédiaires répond aux besoins de la classe moyenne qui, elle aussi, souffre de la crise du logement : les associations (Fondation Abbé Pierre, Chantiers d’Emmaüs…) défendent un intérêt catégoriel. Enfin, critiquer la libération du logement social de locataires n’y ayant pas droit, parce qu’ils sont peu nombreux est étonnant : il est beaucoup plus facile de supprimer un privilège peu fréquent que largement répandu. La raison de cette critique pourrait être financière, ces locataires, qui payent régulièrement leurs loyer et surloyer, étant remplacés par d’autres moins rigoureux et dispensés de surloyer. .
L’article 3 du projet de loi est particulièrement inquiétant : il offre un nouveau droit de préemption aux maires pour maîtriser l’évolution des coûts du foncier : « Ainsi, si la cession d’un terrain ou d’un bien est objectivement déconnectée des prix du marché, les maires pourront préempter les terrains vendus trop chers. » . Ce droit de préemption n’est pas nouveau : le maire peut proposer un prix inférieur au prix convenu sur le compromis de vente déjà signé, et, en cas de refus du vendeur, le logement est retiré de la vente. De même, les réserves foncières, constituées des terrains prévus pour un aménagement d’intérêt collectif ultérieur et par suite inutilisables par leurs propriétaires, verraient la durée de leur validité prolongée.
Les élus locaux seraient ainsi chargés de responsabilités de plus en plus importantes. Ils ne disposent cependant pas toujours des services compétents pour gérer un marché immobilier dans le contexte économique local et dans le respect de la législation. La demande de logements longue durée dépend de l’activité touristique locale qui enrichit la commune, ses commerçants et artisans, et ses habitants permanents. Trouver l’équilibre entre le nombre de meublés touristiques et de résidences secondaires d’une part et l’offre de logements longue durée d’autre part n’est pas facile, d’autant plus que les logements permanents peuvent être situés dans une commune voisine.
Le risque de décisions arbitraires est évident : les élus locaux définissent dans le plan local d’urbanisme les zones constructibles et celles qui ne le sont pas, sans aucune considération pour les propriétaires des terrains dont la valeur va être divisée ou multipliée par 100 suivant que ces terrains cessent d’être constructibles ou qu’ils le deviennent. Ils décident de la taxation sur les logements vacants dans les zones tendues (la TLV) et sur les logements vides dans les zones qui ne le sont pas (la THLV). Les contestations peuvent se multiplier et engorger un peu plus les tribunaux administratifs.
Il y déjà de nombreux cas de décisions municipales arbitraires, qui sont annulées par les tribunaux administratifs. Confier tant de pouvoirs aux maires fait craindre la multiplication de ce genre de décisions.
L’impuissance de l’administration
La cause fondamentale de cette crise est l’intervention permanente de l’État dans les relations privées et la vie individuelle. Le logement en est victime : le contrat de location entre un propriétaire et un locataire est un contrat de droit privé entre deux personnes morales ou physiques supposées libres, mais les clauses sont fixées ou contrôlées étroitement par la loi : montant du loyer, critères de sélection du locataire, durée du bail, conditions de son renouvellement, de sa résiliation, modalités de l’expulsion du locataire etc. Ces clauses légales évoluent dans le temps suivant la conjoncture. Cette instabilité contribue à la désaffection des investisseurs individuels pour le logement locatif libre.
Le logement social et intermédiaire devient le principal recours pour combler le déficit global. Les mesures envisagées dans le projet de loi ont pour objectif d’augmenter ce parc, mais montrent “en même temps” que la situation actuelle n’est pas saine. L’amélioration du « pilotage des loyers des logements sociaux » (article 8 du projet de loi) laisse perplexe sur le pilotage actuel : « à cause de règles imposées par des conventions anciennes avec l’État, un logement social construit par exemple il y a quinze ans peut voir son loyer plafonné à un niveau parfois très inférieur à celui d’un logement social neuf, avec les mêmes caractéristiques. Pourtant, ces deux logements sont destinés à des personnes disposant des mêmes ressources, ce qui peut être source d’injustice. Les bailleurs ne peuvent pas égaliser les loyers dans ce type de cas, à cause de rigidités administratives. »
Ces conventions anciennes avaient pour but de régler les difficultés de logement de l’époque. Les nouvelles conventions, qui maintiennent l’injustice précédente jusqu’au départ du locataire, seront anciennes dans quinze ans et seront peut-être inadaptées.
Les lois et règlements s’entremêlent et se contredisent. Imaginons par exemple que les familles de délinquants soient expulsées de leur logement en HLM. La loi DALO oblige à les reloger dans un autre logement social, ce qui ne fait que déplacer le problème de la délinquance. L’existence des logements indignes est la conséquence de l’insuffisance des logements sociaux et de la présence d’immigrés clandestins. Le permis de louer fait disparaître ces logements, repousse leurs occupants dans des squats d’où ils sont chassés par la loi Kasparian “antisquat”. Les immigrés clandestins n’ont plus guère d’autre solution que de se réfugier sous des tentes ou dans des bidonvilles sans eau courante ni électricité ni hygiène en espérant un logement d’urgence…. Ces lois et règlements créent ainsi d’autres difficultés qu’une nouvelle réglementation va devoir régler. Cela n’a pas de fin.
L’intrication du logement dans l’activité économique
Le logement est un secteur important très intriqué dans l’activité économique. Tout changement de cette activité a un effet sur le logement et inversement. La dette publique et la faiblesse de la croissance réduisent les budgets et mettent la construction en difficulté. La diminution des transactions prive les collectivités, départements et municipalités de ressources financières importantes, empêche la mobilité professionnelle et pénalise le marché du travail.
Cette intrication crée une complexité insurmontable rendant les règles inopérantes. Comment concilier le droit constitutionnel de propriété défini dans l’article 544 du code civil par « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements », avec toutes les réglementations régissant la propriété immobilière : plans locaux d’urbanismes, loi littoral, loi Natura 2000, mise en réserve foncière, droit de préemption etc., qui aboutissent parfois à limiter la jouissance d’un bien au droit de le regarder ?
Intérêts particuliers et démarche collective
Le choix d’un logement est une démarche privée, discutée en famille. On se préoccupe de l’ambiance du quartier, de la proximité d’une école et d’un jardin public, des transports en commun, de l’éloignement du lieu de travail, du logement lui-même, etc.
Les règles administratives empêchent cette réflexion dans le logement social. La loi a créé le désordre total que l’on constate maintenant. Jusqu’à quel pourcentage la population sera-t-elle logée dans des logements sociaux, et percevra-elle des allocations de logement au point que certains locataires versent un loyer inférieur à la somme des aides qu’ils perçoivent ?
Inversement, la libéralisation totale du logement en Argentine a eu pour effet de multiplier par trois l’offre de logements disponibles à Buenos Aires. Faut-il une crise économique analogue à celle qui perdure dans ce pays, avec un taux d’inflation de 254 % en un an, pour rétablir une économie de marché qui ajuste l’offre aux besoins, et non le contraire ?