Le 7 Janvier 2015, je ne suis ni Charlie, ni pas Charlie.
Je ne connais même pas le journal satirique Charlie Hebdo !
Je suis un simple « acteur affranchi et dégourdi » exilé, qui tourne son premier long métrage au Mexique et apprends, abasourdi, que des dessinateurs, des caricaturistes français se sont fait déchiqueter à la mitraillette, buter à bout portant à coup de kalachnikov, par des individus qui n’ont pas « supporter » l’outrage d’un « dessin » offensant : une caricature du prophète.
A 35 ans passés, je ne comprends tout simplement pas.
Je ne m’explique pas l’ampleur de cette révélation qui s’impose à moi. Des gens sont capables de tuer parce qu’une pensée, un mot, un dessin, un livre, une caricature « ne leur convient pas ».
Dans mon esprit déjà Voltairien et en passe de devenir Pasolinien, aucune outrance ou offense, quelle qu’elle soit, ne peut valoir cette sentence là.
Rire contre rire, caricature contre caricature, à la limite insulte contre insulte… Mais en aucune manière « dessin contre kalach » !
Aucune confrontation d’ordre idéologique, artistique, satirique, philosophique, ne peut s’exercer et opérer lorsque l’occidental civilisé dessine et que l’islamiste endoctriné massacre.
Je découvre à cet instant précis, les sujets de liberté d’expression, de censure et de propagande institutionnelle, qui frappe la France et sur lesquels je vais m’atteler pendant dix ans.
Du court métrage qui m’envoie au commissariat de police puis tribunal de la XVIIème chambre correctionnelle, au documentaire qui expose le dévoiement des institutions judiciaires étroitement alignés sur le pouvoir politique en place.
Une décennie entière consacrée à décortiquer jugements paradoxaux, omissions volontaires, inclinaisons manifestes, partialité la plus crasse…
En France, je pars à la rencontre de tous ceux qui sont pourchassés pour « leurs pensées, leurs propos, leurs dessins, leurs articles, leurs opinions, etc. »
Peu importe le bord politique, que ce soit à gauche ou à droite, j’assiste à certains procès, passe en revue des décisions judiciaires, les verdicts, etc… Pierre Cassen, Renaud Camus, Eric Zemmour, Jean-Marie Le Pen, Alain Soral, Dieudo, George Bensoussan, Christine Tasin…
Charlie Hebdo n’est même plus le sujet de fond, il n’est que le dernier étendard, le summum, le point culminant des limites de la liberté d’expression en France. Car pour la première fois, il en a payé de sa vie et de la manière la plus inconcevable.
Jusque-là, seul les médias bannissaient en s’appuyant sur l’indignation (sélective), la loi en s’appuyant sur le droit (sélectif aussi !), la collectivité en convoquant sa morale qui elle-même convoquait l’indignation générale, etc… etc…
Charlie Hebdo n’est que la dernière sirène hurlante et agonisante, désespérée, d’un concept mourant et aujourd’hui enterré : « On peut rire de tout » en France.
Plus j’entrais dans ce travail passionnant et cette analyse fascinante, plus je comprenais que non seulement on ne pouvait pas rire de tout, mais que plus le temps défilait, moins on riait dans notre pays.
C’est fut d’ailleurs un des principaux révélateurs de cette mort lente de l’enthousiasme collectif, qui jadis régnait en France.
Et si elle ose rire un peu trop, elle en paye très vite le prix.
Désormais, elle fait juste semblant de rire, en veillant à ne pas déraper, pour mieux se mentir sur son état de santé.
Les clans se sont dressés et redressés.
Les réseaux sociaux servent de jumelles pour les procureurs en herbe. Tous dénoncent mais chacun revendique son indignation calibrée et son droit légitime à moquer l’autre, sans jamais arriver à la conclusion qu’il doit forcément aussi accepter d’être moqué.
Naïf, j’étais pour que tous, sans exception aucune, puissent caricaturer et tous puissent être caricaturés. J’étais à la fois dans un esprit Voltairien, devenu Pasolinien et quelque part un peu aussi Coubertin. Je voulais que la compétition inaugure un rapport de force salutaire, d’où les plus brillants jaillissent.
Je pouvais me marrer devant Michel Leeb, devant Coluche, devant Desproges, devant Devos, devant Dieudo… Aujourd’hui, j’observe mes compatriotes se battre comme des petits coqs impuissants, devant Blanche Gardin versus Sophia Aram, qui l’une comme l’autre ont épousé un camp, un créneau, une boutique… Sans jamais être à la hauteur des « maestros ».
10 ans après l’assassinat effroyable de dessinateurs, il ne reste qu’un constat terrible de défaite absolue. Personne n’a défendu le principe fondateur de liberté d’expression, ni même Charlie Hebdo qui l’a payé de sa vie, chacun a défendu « SA » liberté d’expression.
En ce qui me concerne et pour conclure sur ce combat perdu (hélas), l’ironie cruelle de la tragédie, est que l’immense partie des membres de Charlie Hebdo déclaraient publiquement que le danger viendrait un jour des groupuscules catholiques d’extrême droite. En 2015, dans son bureau, assis sur sa certitude, Charb fut déchiqueté par le barbare islamiste.
Ce matin, toujours depuis le Mexique où je tourne un autre film, en cette date d’anniversaire si symbolique pour notre pays, Jean-Marie Le Pen, celui que les institutions n’ont eu cesse de pourchasser, vampiriser, qualifier de diable pour avoir, à l’inverse de Charb (et de ses acolytes), prévenu qu’un jour « les français raseraient les murs », s’en est allé. Entouré des siens depuis son lit.
Pendant que Charlie Hebdo voulait y croire et nous faire rêver, Jean-Marie Le Pen n’avait eu cesse de nous prévenir. Et le cœur a ses raisons que la raison n’a voulu ni comprendre ni entendre ni voir, en s’afférant à illusion plutôt que d’écouter la douloureuse prophétie de l’homme à qui l’histoire a donné raison.
Charlie Hebdo est mort il y a 10 ans Jean-Marie le Pen est mort, jour pour jour, 10 ans plus tard. Et ça, mes chers compatriotes, le moment fatidique venu, il faudra bien qu’on se le dise et qu’on se l’avoue, car ce n’est pas « un détail de l’histoire ». C’est bel et bien notre histoire !
À ma France et à mes illusions perdues.
1 commentaire
L’humour kalach c’est comme l’humour juif…mais sans l’humour