La grande agence américaine de notation Standard & Poor’s vient de faire reculer, à nouveau, d’un cran, notre pays dans sa dernière revue de notre situation économique et c’est incontestablement un très mauvais signe. Aussi, il est nécessaire de s’interroger pour savoir pourquoi nos élites ont laissé se déliter ainsi notre pays.
En effet, notre pays n’a cessé de se déliter ces quarante dernières années, tant sur le plan économique que sur le plan sociétal. Et les ouvrages sont nombreux à nous le dire, comme par exemple la Chronique du déclin français de Jacques Julliard, ou encore La France au bord du gouffre de Michel Parisot. Certes, avons-nous sans doute tendance à glorifier notre passé lorsque l’on s’y réfère, et c’est ce contre quoi nous met en garde Laurent Giovachini dans son ouvrage Les nouveaux chemins de la croissance : « On a trop souvent une vision fantasmée de la grandeur d’autrefois ! » ; et cet auteur, pour illustrer sa pensée, nous dit de la période faste que notre pays a traversée avec le général de Gaulle : « Il a fait voyager la France en 1ère avec un billet de seconde classe ».
Déliter signifie se « désagréger », se « fragmenter ». Sur le plan économique, le déclin est certain. Quand sur le plan social, on constate que notre pays, depuis la fin de la guerre d’Algérie, est soumis à des bouleversements anthropologiques extrêmement importants qui affaiblissent grandement la nation. Ainsi, aucune lueur d’espoir ne se profile à l’horizon, ni sur le plan économique, ni sur le plan social. À cela s’ajoutent les sondages d’opinion, qui nous indiquent que plus de 70 % des Français seraient inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Une enquête menée par Brice Teinturier, de l’Institut IPSOS, nous apprend que seulement 19 % des Français ont une bonne opinion de nos dirigeants. C’est très peu, ils les perçoivent comme « incompétents », « intéressés » ou encore « fermés sur eux-mêmes ».
Le délitement de la France, sur le plan économique :
Les statisticiens des Nations-Unies ont publié en 2018 une étude dans laquelle ils ont examiné comment les économies des différents pays ont évolué dans la longue période. C’est, en effet, sur une longue période qu’il faut appréhender les évolutions afin de se dégager des variations conjoncturelles qui masquent les tendances de fond. Nous reproduisons, ci-dessous, les données de cette étude pour les grands pays européens, en prolongeant les séries jusqu’en 2021, et en ajoutant le cas d’Israël qui est particulièrement remarquable :
On constate que tout au cours de cette période, les performances économiques de notre pays ont été bien inférieures à celles des autres pays européens : il aurait fallu, pour le moins, que l’on en soit au multiplicateur 4,0, sinon 4,5, et l’on en serait alors à des taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires se situant dans les normes de l’OCDE.
Ce qu’il s’est passé, c’est que notre secteur industriel s’est considérablement amenuisé, au point que sa contribution à la formation du PIB n’est plus que de 10 %. Notre pays est, à présent, le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part ; en Allemagne ou en Suisse cela constitue 23 % ou 24 % du PIB. Or, le secteur industriel est, des trois secteurs qui composent une économie, celui qui génère le plus de richesse et où le progrès technique augmente le plus rapidement.
On a enseigné à nos élites, à Sciences Po et à l’ENA, la loi des trois secteurs de l’économie que Jean Fourastié avait énoncée dans Le grand espoir du XXe siècle, un ouvrage publié en 1949 qui connu un succès considérable, mais en l’interprétant très mal. Une société qui se développe passe, leur a-t-on expliqué, du secteur primaire, l’agriculture, au secteur secondaire, l’industrie, puis, ensuite, du secteur secondaire au secteur tertiaire, celui des services, et l’on en a conclu, d’une manière erronée, qu’une société moderne n’est plus constituée que par des activités de services. Ce fut le cas, notamment, du grand sociologue Alain Touraine et de son livre La société postindustrielle paru chez Denoël, en 1969. Il fallait comprendre que dans une société moderne les effectifs du secteur secondaire vont, effectivement, en se réduisant, mais du fait du progrès technique ce secteur continue à être présent, représentant toujours 20 % à 25 % du PIB.
Il apparut donc à nos dirigeants tout à fait naturel que notre secteur industriel s’amenuise, et en vienne même à disparaître, le rétrécissement de ce secteur étant le signe de la modernisation du pays. On concevait une société avancée comme étant une société « du savoir et de l’intelligence », les activités industrielles étant reportées sur les pays en voie de développement qui disposent, eux, d’une main d’œuvre abondante, pas chère, et corvéable à merci.
En somme, on leur achèterait leurs productions et on leur vendrait nos savoir-faire et nos brevets. Il s’est trouvé que les pays sous-développés, et tout spécialement la Chine, contre toute attente, ont su accéder à nos technologies, exigeant des transferts de technologie des firmes qui investissaient chez eux et envoyant leurs meilleurs élèves se former dans les grandes universités américaines, et l’on en est arrivé à la situation actuelle. La Chine est devenue l’usine du monde, et elle a aujourd’hui autant de chercheurs que les États-Unis ; et elle est capable d’envoyer des hommes dans la lune : des taïkonautes.
La France, aujourd’hui, avec un secteur industriel considérablement réduit, est un pays sinistré. Et tous les clignotants économiques sont au rouge : un chômage important que l’on ne parvient pas à réduire, une balance commerciale de plus en plus déficitaire, des dépenses sociales bien plus importantes que partout ailleurs – des dépenses faites pour pallier l’appauvrissement de la population résultant de la désindustrialisation du pays – et un endettement maintenant supérieur au PIB.
Le gouvernement d’Emmanuel Macron a donc entrepris d’agir, mais bien tardivement. Il a lancé, en octobre 2021, le « Plan France 2030 » auquel il va consacrer 54 milliards d’euros, un plan de cinq ans qui comporte une liste de réalisations nouvelles dont un certain nombre de réacteurs nucléaires de petite dimension. Mais ce plan est totalement insuffisant : il a un champ d’application limité, et les moyens de soutien prévus pour épauler les entreprises sont insuffisants. Il faudrait qu’il s’applique à tous les types d’industries, et que les mesures de soutien soient triplées, à l’image de ce que fait aux États-Unis le Président Joe Biden qui, de surcroît, a eu l’audace, pour un pays libéral, de mettre en place des protections douanières, ce que la France ne peut faire car la Commission Européenne nous l’interdit. Nous n’avons plus, en effet, avec notre inclusion dans l’Union Européenne, la possibilité d’être maître de notre destin. Henri de Castries, le président de l’Institut Montaigne, donne deux raisons au délitement de notre économie : la perte du goût du risque et la préférence pour le consommateur aux dépens du producteur.
Le délitement de la France, sur le plan sociétal :
Depuis la fin de la période coloniale, des flux importants de migrants, en provenance de nos anciennes colonies, se déversent sur notre pays. Dans leur grande majorité originaires de pays musulmans, ces nouveaux arrivants installent l’islam dans notre pays et ne s’assimilent pas. En effet, si une partie d’entre eux s’intègrent, beaucoup ne font que s’inclure. Puisque notre politique d’assimilation se trouve mise en échec, notre société est devenue hétérogène et son fonctionnement s’en trouve perturbé. En 2019, l’analyste politique Jérôme Fourquet faisait ce douloureux constat dans L’archipel français : « En quelques décennies tout a changé : depuis 50 ans les principaux ciments qui assuraient la cohésion de la société française se sont désintégrés ». Il explique que le soubassement philosophique constitué par le christianisme s’est effondré et que le pays est, désormais, « un archipel constitué de groupes ayant leur propre mode de vie et leur façon de voir le monde ».
Nos dirigeants ont agi comme si notre pays n’avait aucune expérience de l’islam : à croire que notre expérience algérienne n’aurait servi à rien ? Ils n’ont pas vu que l’islam est une idéologie par nature conquérante, qui veut imposer sa loi : de nombreuses sourates du coran font du combat pour l’étendue de l’islam sur tous les continents, un devoir aux croyants. Contrairement au général de Gaulle qui avait renoncé à conserver l’Algérie afin que « Colombey les deux églises ne devienne pas, demain, Colombey les deux mosquées » (citation d’Alain Peyrefitte) ils ont, en prenant sa suite, ouvert tout grand la voie à l’islam.
Ils ont, dans un premier temps, et afin de rassurer la population, pris le parti de présenter l’islam comme une religion de paix, une religion parfaitement compatible avec nos valeurs et nos principes démocratiques. On se souvient de Jack Lang, qui a été ministre non seulement de l’Éducation mais aussi de la Culture, proclamant urbi et orbi, avec la fougue qu’on lui connait : « L’islam est une religion de paix et de lumière ». Puis, les attentats islamiques se multipliant, nos dirigeants durent changer de discours. Il y eut, qui marqua un tournant, l’odieux attentat du Bataclan, à Paris, en 2015, qui fit 131 morts et 350 blessés.
On entreprit, alors, d’expliquer aux Français que tous ces attentats étaient dus à des musulmans qui déformaient leur religion. Ce sont des « islamistes » qui veulent faire jouer à leur religion un rôle qui n’est pas le sien. On mit donc au ban de la nation les salafistes et les wahhabites, en prétendant que leur islam n’est pas le bon. Pourtant, « salaf », dans l’islam, désigne les compagnons des premiers temps du Prophète Mahomet. Et, finalement nos dirigeants en vinrent à admettre que l’islam, dans une société occidentale, perturbe fortement sa marche, et ils demandèrent au CFCM (le Conseil Français du Culte Musulman) de s’atteler à la tâche consistant à faire naître un « islam de France », c’est à dire un islam qui soit compatible avec nos valeurs et nos principes républicains. Mais aussitôt le CFCM entreprit-il de s’engager dans cette voie qu’il explosa ; on n’a donc plus de CFCM, et toujours pas d’ « islam de France ».
On en est là, actuellement : l’islam gagne sans cesse du terrain. Le nombre des mosquées se multiplie, de plus en plus de jeunes filles portent le voile islamique dans nos rues pour affirmer leur différence, les boutiques halal et les kebabs prolifèrent. Quel est le résultat de cette politique d’ouverture ? La réponse nous est donnée par un sondage IFOP, de septembre 2020, indiquant que 57 % des jeunes musulmans français considèrent la charia, c’est-à-dire la loi islamique, comme supérieure aux lois de la République, soit 10 points de plus que dans le précédent sondage.
Le pays s’est fractionné comme l’a fort bien expliqué Jérôme Fourquet. Les musulmans qui s’installent dans notre pays revendiquent le droit de conserver leur identité, et y sont encouragés par le Conseil de l’Europe auquel la France a adhéré en 1974. Cet organisme, qui veille à la bonne application de la Convention européenne des droits de l’homme, a, dans sa résolution 1743 article 11, datant de 2010, affirmé : « Les musulmans sont chez eux en Europe ». Si l’on poursuit dans cette voie, il se produira une mutation de notre civilisation, comme nous l’indique Claude Levi-Strauss dans Race et Histoire. Nous nous dirigeons vers « un pattern nouveau », c’est-à-dire une autre civilisation. C’est toujours ce qui se produit, dit-il, lorsque deux civilisations sont en concurrence sur un même territoire. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui voit l’islam à l’œuvre dans son pays, s’en alarme, et nous dit, bien à regret : « Il a un coup d’avance ».
Comment en est-on arrivé là ?
Pourquoi la France se trouve-t-elle dans une telle situation ? Selon l’économiste Marc Touati, dans le numéro de Capital du 21 avril 2023 : « La réponse est simple : en dépit des nombreux avertissements qui ont été régulièrement envoyés aux dirigeants depuis 25 ans, rien ou quasiment rien n’a été fait pour sortir la France de l’ornière ». On se souvient de l’historien Marc Bloch, qui dans son ouvrage L’Étrange défaite paru en 1946, expliquait que notre défaite de 1940 provenait d’ « une mauvaise formation de nos élites ». Y aurait-il donc un problème de formation de nos élites ? C’est probable.
Après la Seconde Guerre mondiale, on a crée, en 1945, une école des élites, l’ENA. L’enseignement qui y a été donné permettait-il de former des personnes compétentes pour diriger le pays ? La question est ouverte. Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, qui a été chargé d’engager une réforme de l’ENA, nous dit, dans son rapport de 2009 : « Nous fabriquons des élites imbues d’elles mêmes » ; et il fait le diagnostic suivant : « On a dressé nos élites à donner l’illusion du savoir : l’élève savant n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais qui a été dressé à donner l’illusion qu’il sait ».
Il y a bien, depuis une quarantaine d’années, à l’œuvre dans notre pays, un phénomène de délitement. Il nous faut garder en mémoire la conclusion à laquelle était parvenu Arnold Toynbee dans son ouvrage en douze volumes, A study of History. Cet immense historien anglais des civilisations, mort en 1975, écrivait : « Les civilisations ne sont pas assassinées, elles se suicident ». À nous d’agir avant qu’il ne soit trop tard.