La politique irlandaise est un sujet difficile à aborder. Lorsque les émeutes de Dublin ont éclatées, nombre de journalistes se sont penchés sur la situation, mais toujours à travers le grillage de la pensée européenne, américaine, ou anglaise.
A droite, sur les réseaux sociaux, une idée a aussitôt commencé à s’imposer : comme pour le Brexit, ou encore Donald Trump, nous assistions à une vague de populisme, s’opposant à l’establishment, tout en scindant le pays en deux camps quasiment homogènes. Immédiatement, Elon Musk, de Tucker Carlson, Steve Bannon et d’autres, déclaraient sur X que « la colère à Dublin avait débordé » et que « l’Irlande exigeait des mesures », tout en relayant les images des émeutes.
Cependant, l’Irlande n’est ni le Royaume-Uni, ni les États-Unis. Cela n’ôte en rien la colère des manifestants face à l’immigration massive à laquelle ils font face, mais comprendre cette révolte requiert plus de contexte. Les émeutiers de Dublin peuvent-ils réellement convertir leur énergie populiste dans le champ politique ?
Le premier facteur à prendre en compte est, qu’au sein du système électoral irlandais, le discours anti-immigration n’existe tout simplement pas et que, par conséquent, les réactions médiatiques au sujet des émeutes s’apparentent davantage à la couverture d’une catastrophe naturelle qu’à celle d’un véritable événement politique. De telle sorte que journalistes et hommes politiques relatent l’ampleur de la catastrophe, mais sans chercher à la comprendre.
Cette semaine, le parlement irlandais a condamné l’émeute, reflétant par la même le sentiment populaire. Comme souvent en Irlande, lorsque sont évoqués les termes immigration ou encore extrême droite, le débat se déroule dans le vide. Au lieu d’être considérée comme un acteur politique actif, le spectre de l’extrême droite semble planer sur les débats comme une force menaçante ; tout tourne autour d’elle, tout le monde la déteste et la craint, mais personne ne la connaît, ne l’a vue, ni n’a rencontré quelqu’un qui la soutienne.
En Irlande, il n’existe de pas d’équivalent au trumpisme, ni aucun élu, parti ou média portant la voix des émeutiers ou celle des laissés pour compte. Aucune partie substantielle de la population ne perçoit ces émeutes comme un soulèvement populaire. Les émeutiers sont plutôt perçus comme des ‘’sales ordures’’ prêtes à tout. Il s’agit là d’une opinion répandue, et pas seulement dans la presse ou parmi certaines élites urbaines déracinées.
Sera-t-il possible de séparer les émeutes en deux éléments, la violence et la politique ? Comme souvent dans les petits pays géographiquement marginaux, pour des raisons purement pratiques le consensus est une valeur sacrée. Pas de vagues !
Cela ne signifie pas qu’une variante du populisme de droite ne puisse un jour conquérir le pouvoir en Irlande, ou du moins peser suffisamment pour influencer l’orientation du pays. L’un des résultats les plus décisifs de l’histoire irlandaise, le référendum de 2004 visant à supprimer le droit du sol, en est la preuve.
Le facteur le plus déterminant qui garantirait, au cours de la prochaine décennie, l’émergence d’un puissant parti populiste de droite au pouvoir qui, à l’instar du Danemark, adopterait un régime d’immigration réellement strict, est celui de la démographie.
L’Irlande a, en pleine crise du logement, vu sa population augmenter de 2 % l’an dernier ; d’après le dernier recensement, environ 20 % de la population irlandaise est née à l’étranger. Il ne s’agit plus pour le peuple irlandais d’être seulement pour ou contre l’immigration : il paraît simplement impossible de traverser des changements démographiques d’une telle ampleur, les plus importants depuis la famine irlandaise, et d’espérer que l’opposition soit totalement exclue de la vie politique et des médias. Le changement est trop profond pour que la dissidence ne finisse pas par éclater. La seule question est de savoir quand, et sous quelle forme, cela se produira.
Il est possible que l’un des trois plus grands partis (Fianna Fáil, Fine Gael ou Sinn Féin) amorce un changement de cap politique. Ce changement ne serait pas motivé par la conviction que les émeutiers ou leurs partisans aient raison, mais par la prise de conscience du fait qu’un tel sentiment refoulé quant au changement démographique contribue à déformer le discours national et à créer des psychoses, ce qui nuirait au statu quo, et que le bon moyen de le contrôler serait de parvenir à le réintégrer au système.
Dans le cas où l’opposition resterait en dehors du système, elle ne survivrait pas sans une personnalité extérieure suffisamment légitime pour l’incarner et la piloter. Conor McGregor serait précisément ce genre d’incarnation, mais le soutien dont il bénéficie auprès du grand public irlandais reste incertain. Il a également tenus des propos sur X, pouvant être perçus comme incendiaires et nuire à son ascension politique.
Les émeutes, et le rôle de McGregor, ont fait couler beaucoup d’encre car elles semblent constituer un événement historique. Il se pourrait que ce ne soit plus le cas dans un an si des événements similaires se répètent, ce qui est largement possible. La perception actuelle du système est celle de sinistres fauteurs de troubles, s’agitant mutuellement sur les réseaux sociaux et contaminant les autres.
Dans ce cas, la solution privilégiée par le système politique – poursuivre pour propos haineux quiconque se réclamant des émeutiers – fonctionnera.