La date des élections européennes approche et l’on ne voit pas les têtes de liste des différents partis nous parler des dispositions que doit prendre l’Union Européenne pour lutter contre les flux migratoires qui demain nous submergeront. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur, car il y va de la sauvegarde de notre identité et de notre mode de vie. Il va falloir que les pays européens donnent sans plus attendre à la Commission Européenne la mission de négocier avec les pays émetteurs de ces flux migratoires, c’est-à-dire les pays africains, les mesures à prendre pour les maîtriser.
Nous allons montrer qu’en réunissant dans une même main les moyens financiers que les 27 pays consacrent à ce que l’on nomme l’ « Aide Publique au Développement » (APD), et en les renforçant si nécessaire, on dispose de la possibilité d’agir en modifiant de fond en comble les termes du dialogue que nous entretenons avec les pays africains.
Depuis la fin de la période coloniale des flux importants de migrants se déversent sur nos pays et ces nouveaux migrants, contrairement aux précédents, ne s’assimilent pas : au mieux, ils s’intègrent, mais beaucoup ne font que s’inclure. Ces flux ne vont qu’aller en augmentant dans les années à venir, comme nous le disent les démographes. L’IHME, par exemple, dans la revue The Lancet, avance la projection suivante :
D’ici à 2050 on verra la population du continent africain s’accroître d’un peu plus d’un milliard d‘habitants. Aucun pays européen, pris isolément, n’a la capacité de maitriser ces flux, et il faut donc que ce problème soit pris en mains par la Commission Européenne qui, en agissant au nom de l’Europe, et avec les moyens financiers importants qui seraient mis à sa disposition, pourra dialoguer utilement avec les pays africains. Nous disposons, en effet, d’une arme importante qui a pour nom l’ « Aide Publique au Développement » (APD), et il va être temps de l’utiliser.
Des premières initiatives timides prises par la Présidente de la Commission
Sous la pression de la Présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a récemment amorcé un virage politique. Un accord a été signé avec la Tunisie le 16 juillet 2023, au terme duquel, en échange d’une aide financière apportée à ce pays qui en a urgemment besoin, le gouvernement tunisien s’efforcera de mieux maitriser ses flux migratoires. Et un accord du même type, mais financièrement bien plus important (7,4 milliards d’euros, incluant un prêt de 5 milliards d’euros ainsi que des dons), a été conclu avec le Président égyptien Abdel Fatah al Sissi le 17 mars 2024 dernier.
Il faut en effet obtenir des pays africains qu’ils nous aident à résoudre nos problèmes migratoires en échange de l’aide financière qui leur est fournie. Ces deux premiers accords, conclus dans la précipitation, sont des accords bâclés, très loin d’être satisfaisants. Il ne faudrait surtout pas continuer dans cette voie.
Nous allons donc indiquer quelles sont les dispositions à prendre pour construire une politique nouvelle fondée sur une bonne appréhension des problèmes. Une politique qui soit susceptible de satisfaire réellement les besoins de chacune des deux parties.
L’Aide Publique au Développement (APD) :
Les pays de l’OCDE se sont engagés, en 1969, devant les Nations-Unies, à verser chaque année une aide aux pays du tiers monde fixée à 0,7 % de leur Revenu Brut annuel (le PIB plus les revenus extérieurs). Et c’est bien ce mécanisme qui est en place, depuis lors, sous le contrôle attentif du CAD, le service spécialisé de l’OCDE qui siège à Paris.
Il s’est ajouté, avec la construction de l’Europe, un volet supplémentaire : une aide gérée directement par le FED (Fonds Européen d’aide au Développement). Au total, l’aide de l’Union européenne aux pays en voie de développement s’élève aujourd’hui à 79,5 milliards d’euros, (soit 0,5 % du PIB de l’UE). Elle présente un double inconvénient : être essentiellement composée d’aides bilatérales et porter sur un trop grand nombre de pays : les 79 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
Cette aide se situe en dessous du ratio fixé par l’OCDE, et les montants destinés aux pays africains sont relativement faibles : 40 %, soit 32 milliards d’euros seulement. Dans le cas de la France, il s’agit d’un budget de 15,4 milliards d’euros, s’articulant en une aide bilatérale de 11,0 milliards et une aide multilatérale de 4,4 milliards (Source CAD, OCDE). Notre aide bilatérale est complètement dispersée, s’articulant en pas moins de 24 programmes différents gérés par plusieurs ministères. Quant au FED, son budget est très limité : il a été de l’ordre de 6 milliards d’euros par an, ces dernières années…
Il est donc temps d’agir en faisant de notre politique d’aide un instrument qui, tout en conservant sa finalité première soit aussi de nature à servir nos propres intérêts. Il s’agira de tenir aux pays africains un langage plus ferme : « nous vous apportons une aide substantielle pour vous aider à vous développer, et, de votre côté, vous nous aidez à maitriser les flux migratoires qui se déversent sur nos pays ». De larges pans des populations de ces pays ont, aujourd’hui, des opinions bien arrêtées sur les pays occidentaux que nous sommes. De fait, elles nourrissent des rancœurs à notre égard. Ainsi, elles nous reprochent l’esclavage, l’exploitation des pays que nous avions colonisés à notre seul avantage, le fait d’avoir maltraité et humilié toutes ces populations… Le refrain est bien connu et ce ne sont donc pas quelques bonnes paroles aujourd’hui qui y changeront quoi que ce soit.
De nombreux pays africains se tournent d’ailleurs maintenant vers la Chine et la Russie. La Chine, avec son extraordinaire ascension économique, propose un modèle de développement qui les séduit aussi car elle se garde de s’immiscer dans leurs affaires intérieures, et la Russie, avec Wagner, prête main-forte aux dictateurs. Il faudra donc nous inspirer des pratiques chinoises. En effet, leurs manières de procéder sont réputées très efficaces.
Les Chinois interviennent par des actions directes ayant un impact immédiat sur le développement économique local ; Ils réalisent eux-mêmes les grands travaux d’infrastructures afin qu’il n’y ait pas de déperdition dans les circuits financiers, et ils créent des zones d’activité où s’installent de nouvelles entreprises industrielles, généralement chinoise, et ces mêmes entreprises exportent l’essentiel de leur production et gagnent les devises dont ces pays ont besoin. Le FMI dit de l’aide chinoise qu’elle « impacte positivement la croissance des pays africains », ce qui n’est pas le cas, dit ce même organisme, des aides occidentales.
Pour une nouvelle politique d’aide à l’Afrique fondée sur un partenariat équilibré
Dans cette nouvelle manière d’opérer deux dispositions majeures s’imposent :
- Cesser d’agir chacun pour soi, et se placer donc, d’emblée, au niveau de cet ensemble qu’est l’Union Européenne, la dimension du problème dépassant les moyens pouvant être mobilisés au niveau de chaque pays européen pris isolément ;
- Opérer efficacement en focalisant notre action sur les éléments qui sont de nature à générer directement de la croissance.
Evidemment, il s’agira de respecter les engagements pris devant les Nations-Unies en 1969 : 0,7 % du PIB des 27 pays européens, soit 110 milliards d’euros par an. Ce montant d’aide se trouverait intégralement consacré aux pays africains plutôt que de s’étendre à une multitude de pays comme c’est le cas aujourd’hui. L’aide de l’Europe à l’Afrique se trouverait ainsi multipliée par trois ; et, éventuellement, on pourrait décider d’aller plus loin. La nouveauté, c’est que le montant de l’APD serait totalement géré par la Commission Européenne de façon à ce que les pays africains n’aient qu’un seul interlocuteur : cela sera essentiel afin de pouvoir être en position de force dans les négociations à mener, et on sait qu’il y en aura en permanence. Pour ce faire, il faudrait que tous les pays européens consentent à renoncer à l’aide bilatérale, et on sait que certains auront beaucoup de mal à se plier à cette discipline.
Trois objectifs : infrastructures, assurance, émigration
On limiterait notre aide aux trois objectifs suivants :
- La réalisation des infrastructures dont l’Afrique a un urgent besoin ;
- L’alimentation d’un fonds d’assurance des investissements privés contre les risques non commerciaux, un fonds à créer au niveau européen à l’exemple de la MIGA (Mulilateral Investment Guarantee Agency) existant à Washington auprès de la BIRD ;
- La réinstallation des migrants dans leur pays d’origine.
Pour ce qui est des infrastructures, on agirait à la manière des Chinois, c’est-à-dire en adoptant, en accord avec les pays concernés, des procédures permettant d’opérer directement avec nos entreprises de travaux publics.
Pour encourager l’investissement des entreprises européennes en Afrique, on créerait un fonds de garantie, au niveau européen, afin de les assurer contre les risques politiques, à l’image du dispositif qui existe auprès de la Banque Mondiale, la MIGA. L’on inciterait aussi les pays africains à s’ouvrir aux investissements étrangers privés : il s’agit, là, d’un élément capital, car l’implication des entreprises des pays développés dans le processus de développement des pays en voie de développement est fondamentale. En investissant sur place, les entreprises étrangères sont des acteurs essentiels : elles constituent le moteur de la croissance, ce que l’on oublie trop souvent. Actuellement, les IDE (Investissements Directs Etrangers) s’élèvent à quelque 800 milliards de US$, chaque année, dans le monde : 500 milliards s’orientent vers les pays asiatiques, et seulement 60 milliards vont dans les pays africains (et il s’agit essentiellement d’investissements pétroliers ou miniers).
Les investissements étrangers permettent aux pays bénéficiaires d’accéder aux technologies qu’ils n’ont pas, de former leur main d’œuvre, et d’exporter. Les firmes étrangères sont en effet essentielles pour développer les exportations, car des entrepreneurs locaux agissant seuls sont incapables d’accéder aux marchés des pays développés. Tout pays qui se développe accroît considérablement ses importations, et il est donc vital qu’il puisse développer ses exportations au même rythme afin de gagner les devises dont il a besoin, sans quoi le développement ne s’opère pas.
Troisième volet : l’aide à la réinstallation dans leur pays d’origine de tous les migrants que l’Europe ne sera pas en mesure d’accueillir. Ici, les modalités d’intervention de l’Europe seront à mettre au point avec chaque pays intéressé.
Adopter cette nouvelle façon d’opérer c’est être conscient des réalités. Nous n’en sommes plus aux miasmes de la France-Afrique : il est temps que l’Europe se mette en action si l’on ne souhaite pas que nos pays se retrouvent complètement submergés, demain, par des flux migratoires incontrôlés. Et, avec cette nouvelle politique, on ouvrirait des marchés importants à nos entreprises.
Il faut avoir en mémoire ce que nous avait dit Alfred Sauvy : « Si fondamentaux sont les problèmes de population qu’ils prennent de terribles revanches sur ceux qui les ignorent ».