Si la Russie est le premier soutien international aux régimes putschistes du Sahel, ce soutien n’est pas pour autant désintéressé. Le mode de gouvernance en vogue à Moscou semble s’exporter hors de ses frontières. Depuis l’avènement du coup d’État du 19 août 2020 au Mali à celui du 26 juillet 2023, on ne parle plus de démocratie. Une forme d’autoritarisme s’implante et se durcit.
Par Moucharaf Soumanou & Arnauld Kassouin
Si ce sont les acteurs mondiaux qui façonnent les normes internationales, leurs modèles de gouvernance agissent comme des pandémies, infectant la plupart des systèmes politiques qu’elles côtoient. L’ouverture de la Russie sur le continent africain en est un exemple frappant. Ainsi, plusieurs régimes africains naviguent dans ce que Guéorgui Satarov, ancien conseiller de Boris Eltsine, appellera la “dictature plébiscitaire”. Selon cette théorie, il « convient de rompre définitivement avec le libéralisme et de le remplacer par une idéologie d’un autre type ». Idéologie qui baigne dans un système transactionnel. Cette dernière préconise de façon imagée un lieu « où les lois sont appliquées arbitrairement pour servir les intérêts de ceux qui sont au pouvoir. Les droits humains et la démocratie sont des inconvénients qu’il faut ignorer ».
En résumé, cette “dictature plébiscitaire” désigne le fait de concentrer les richesses d’une nation entière entre les mains d’un groupe d’individus d’un certain bord. « Les marchés publics russes et l’immense richesse en ressources naturelles du pays sont contrôlés par un réseau oligarchique proche de Poutine » écrit Joseph Siegel. Dans un article intitulé « La Russie et le futur ordre international en Afrique » publié par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, ce dernier expliquait que cette centralisation des richesses « entraîne une stagnation économique et des inégalités structurelles ». Cette forme d’autoritarisme est aujourd’hui la doctrine régissant la politique interne et externe de la Russie.
Au Japon, à l’occasion du G20 d’Osaka, Donald Tusk, alors président du conseil européen alertait et condamnait la politique russe. « Ce que je trouve vraiment obsolète, c’est l’autoritarisme, les cultes de la personnalité et le règne des oligarques », déclarait-t-il. Pour le chief economics commentator du Financial Times Martin Wolf : « la dictature plébiscitaire peut conduire à la ploutocratie. ». A l’échelle nationale, ce mode de gouvernance freine les activités économiques des investisseurs et paralysera toute volonté d’investir à l’échelle du sous-continent.
La démocratie, à travers ce que Samuel Huntington va nommer « reflux démocratique », a mis son grappin sur les systèmes politiques africains depuis les années 1990. À l’heure où un nouvel ordre mondial se précise, pourquoi la Russie fait-elle peur ? Pourquoi la présence prononcée de la Russie en Afrique suscite débat ?
En apparence, il n’existe aucun signe d’ingérence dans les affaires politiques africaines venant de la Russie. Seulement, un constat plus ou moins chirurgical nous prouve le contraire. L’exemple le plus dur est l’adoption par référendum de la constitution du 30 Juillet 2023 en République centrafricaine. Selon les résultats d’une enquête exclusive menée par une équipe d’investigation du CNC, il a été découvert que le projet de la nouvelle constitution a été rédigé en Russie, par les autorités russes elles-mêmes.
L’interventionnisme accru de la Russie sur le continent africain, notamment au Niger, au Mali, et au Burkina Faso s’inscrit dans une logique de désoccidentalisation du monde.
Si publiquement, la coopération russo-africaine s’illustre surtout dans les domaines de la défense, de l’influence médiatique et de l’accès aux ressources minières, une analyse politique comparée suggère une autre interprétation. En effet, comme l’informe le directeur d’Afrocentricity dans un article signé Juliette Nichols : « la Russie n’est pas là pour développer les pays en Afrique ». La plupart des régimes avec lesquels traite la Russie ont l’autoritarisme en commun comme mode de gouvernance politique.
Les régimes politiques avec lesquels la Russie a de solides liens sont en particulier des États dirigés par des militaires putschistes comme le Niger, le Soudan, la Guinée, le Burkina Faso, le Mali ou encore la Centrafrique. Il convient de noter que la Russie a soutenu des prolongations de mandat extra constitutionnelles au Burundi, en République démocratique du Congo, en République du Congo et au Rwanda comme le renseigne l’Africa Défense forum.
Dans son ouvrage intitulé « Polyarchy: Participation and Opposition », le professeur Robert Alan Dahl explique que les régimes autoritaires se caractérisent par un contrôle strict des institutions politiques et par une limitation des libertés civiles. Ce constat s’observe aussi dans les pays précités et même dans les pays Africain qui conversent avec la Russie. Joseph Siegle, alerte « La vision de Poutine de l’ordre international a des implications dangereuses pour l’Afrique ».
2 commentaires
Pas très d’accord: le modèle ainsi décrit de l’accaparement des ressources naturelles au profit de l’élite au pouvoir a court dans de nombreux pays africains depuis les indépendances. C’est plutôt la Russie qui s’est de facto convertie à ce modèle en cherchant sa voie après le chaos qui a suivi la chute du communisme.
Rien de nouveau en Afrique. Ayant vécu au Congo « Brazza » j’ai vu le PCT à l’oeuvre, l’encadrement des « masses », l’omniprésente Sécurité d’Etat (cornaquée par de grand-frères russes), des contrats techniques abusifs passés avec des pays frères etc. Le marxisme offrait une excellente base théorique (en fait un support) à la dictature d’une faible partie (presque mono-ethnique) de la population avec le contrôle des richesses du Pays. Ensuite, on s’est battu autour de la gamelle et cela n’a rien arrangé. Au cours d’une visite rapide j’ai ensuite constaté l’état où se trouvait l’Angola…