La « trêve politique » décrétée par le Emmanuel Macron pour toute la période des Jeux Olympiques ne concernait manifestement pas les affaires étrangères. Le 30 juillet dernier, quatre jours après la cérémonie d’ouverture, l’Elysée a rendu publique une lettre adressée au roi Mohammed VI, à l’intérieur de laquelle le président français reconnaissait officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
En quelques phrases et à l’improviste, le chef de l’Etat a rompu avec une ligne diplomatique soutenue par la France depuis un demi-siècle. Son geste diplomatique a été interprété comme une manière de relancer les relations avec le royaume chérifien en sacrifiant un dialogue devenu impossible avec l’Algérie. Le lendemain de cette décision historique, la France est en effet entrée dans une nouvelle ère de glaciation avec l’Alger, qui a rappelé son ambassadeur et annulé la tournée française du président Tebboune prévue en septembre. Les signes de réchauffement entre Paris et Rabat ne se sont pas non plus fait attendre : deux jours après l’annonce de l’Elysée, l’Office National des Chemins de Fer Marocains attribuait le contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage de la ligne à grande vitesse Kenitra-Marrakech au consortium mené par le groupe français Egis-Rail, alors que son concurrent espagnol Ineco avait été sélectionné moins de deux semaines auparavant.
Du multilatéralisme au bilatéralisme : Macron en rupture avec lui-même
En reconnaissant la souveraineté marocaine sur le seul territoire du continent africain dont le statut international n’a toujours pas été réglé, le président Macron a franchi un autre Rubicon. Il a rompu avec le multilatéralisme dont il se faisait le chantre depuis 2017. Alors que le Conseil de Sécurité de l’ONU réaffirmait il y a moins d’un an le droit à l’auto-détermination du « peuple du Saha occidental » , la décision unilatérale du président français subordonne désormais le droit international aux intérêts nationaux de la France.
En 2018, Emmanuel Macron avait appelé Donald Trump à être « le garant du multilatéralisme contemporain », en vain. Deux ans plus tard, le président américain reconnaissait la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations entre Rabat et Jérusalem dans le cadre des Accords d’Abraham.
La France est désormais le second membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies à reconnaître la marocanité de ce territoire, l’administration Biden n’étant pas revenue sur la décision du président Trump. Le 30 juillet dernier, le président français s’est converti à l’art du deal.
Comment la France a basculé dans la diplomatie transactionnelle en Afrique
Le Maroc est perçu comme un gardien des frontières nord africaines de l’Europe dont l’attitude serait tantôt attentiste, tantôt cynique, ainsi qu’en attestent les multiples coups de pression migratoires visant à se servir de l’immigration illégale comme moyen de poursuivre des objectifs politiques intérieurs.
En mai 2021, par exemple, les douaniers marocains laissaient passer 10 000 clandestins sur les enclaves espagnoles de la Ceuta et de Melilla, en réaction à l’accueil par l’Espagne d’un dirigeant du Front Polisario. L’épisode s’est conclu par la reconnaissance espagnole du plan d’autonomie marocain sur le Sahara.
Cette même année, en réaction au manque de coopération des autorités marocaines (mais aussi algériennes et tunisiennes) dans le rapatriement de leurs ressortissants faisant l’objet d’une OQTF, le gouvernement français avait décidé de réduire de 50% les visas délivrés aux sujets marocains. Sans effet, la mesure de rétorsion française a été levée l’année suivante.
Dans le cas de la France, ce revirement devrait être interprété comme un signe de faiblesse
En s’asseyant sur le droit international, Emmanuel Macron a fait basculer la diplomatie française dans un nouveau système, celui du rapport de forces et du marchandage, au nom des intérêts nationaux. Ironie de la situation : placer le bilatéralisme au cœur de la conduite des affaires étrangères est l’apanage des grandes puissances, une marque de fabrique de la Chine et des Etats-Unis. Dans le cas de la France, ce revirement devrait plutôt être interprété comme un signe de faiblesse. En renonçant à respecter la position des Nations Unies sur le Sahara occidental, Paris a reconnu la nouvelle puissance de son voisin nord-africain et a choisi de s’en faire un allié indéfectible, sur le plan économique ((la France est le premier partenaire économique du Maroc et le royaume chérifien, le premier partenaire de la France sur le continent africain) comme sur le plan migratoire.
La victoire posthume du groupe de Casablanca
Au début des années 1960, un débat important a animé les dirigeants politiques du continent africain. Fallait-il bâtir les jeunes Etats dont ils avaient la responsabilité à partir des frontières issues de la colonisation ou organiser la souveraineté à une autre échelle ? Deux camps informels se sont opposés sur cette question : le groupe de Monrovia, porté par des partisans de l’intangibilité des frontières coloniales (parmi lesquels l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Nigéria..) et le groupe de Casablanca, emmené par le Maroc, qui regroupait les défenseurs d’une redéfinition des frontières et d’un regroupement des nouveaux Etats en fédérations (l’Egypte, la Guinée, le Ghana, le Mali..).
La naissance de la Mauritanie en 1958 à la frontière sud du Maroc avait constitué un premier grand motif de discorde avec le royaume chérifien, ce territoire ayant fait partie intégrante de l’empire alaouite avant la colonisation. L’un des idéaux développés par l’Istiqlal, le premier parti politique marocain, était la refondation du « Grand Maroc », qui traduisait une volonté de récupérer des portions de territoire ayant échappé à la souveraineté alaouite du fait de la colonisation française et espagnole, lesquelles avaient permis la création de l’Algérie, de la Mauritanie, du Mali (alors appelé Soudan) en découpant des morceaux de l’ancien empire alaouite.
C’est le groupe de Monrovia qui a triomphé. En 1963, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) a été fondée par les Etats africains du nord au sud sur le principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation. Le Maroc a participé à sa fondation et en a respecté les principes, allant jusqu’à reconnaître la souveraineté mauritanienne en 1969. Décolonisé tardivement par l’Espagne, le Sahara occidental représentait déjà une source de conflit entre le Maroc et la Mauritanie, qui se disputaient son annexion.
En 1976, les Nations Unies écartent la solution de la partition du territoire et déclarent le Sahara occidental comme territoire non autonome. Le Front Polisario, qui luttait contre la tutelle espagnole, proclame alors la souveraineté de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) sur le Sahara occidental. Celle-ci est reconnue par l’Algérie et la Lybie, puis par l’OUA en 1982 qui l’admet comme membre. Deux ans après, le Maroc quitte l’OUA pour marquer son désaccord. La réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine (successeur de l’OUA) 33 ans après son départ, représentait déjà un changement d’époque, la question sahraouie faisant l’objet d’un statu quo entre ses membres. Depuis 2017 le Maroc siège dans la même institution que la RASD.
Pour le Maroc, la question du Sahara occidental relève donc de son intégrité territoriale, mais pas seulement : les activités du Front Polisario au sud de ses frontières menacent aussi directement la sécurité du royaume chérifien. Elles représentent un foyer de déstabilisation savamment entretenu en son temps par Mouammar Kadhafi ainsi que par toutes les administrations au pouvoir à Alger depuis la décolonisation.
D’un certain point de vue, le soutien ininterrompu de l’Algérie au combattants du Polisario peut s’interpréter à la fois comme une manière de continuer la guerre des sables qui avait opposé le Maroc et l’Algérie au sujet du tracé de la frontière maroco-algérienne au début des années 1960, mais aussi comme une technique pour contenir et déstabiliser un rival direct en l’empêchant de s’affirmer comme une puissance régionale. Cette attitude semble donc à la fois justifiée par des motifs légitimistes (respecter les principes de l’unité africaine, ne pas remettre en question les frontières issues de la décolonisation parmi lesquelles la frontière entre l’Algérie et le Maroc) et opportunistes.
Dans ce contexte, la position constante de la France a pu se comprendre comme une manière de respecter le droit international et de ne pas s’abîmer en s’ingérant dans une querelle postcoloniale, mais aussi être interprétée par le Maroc comme un soutien implicite à la stratégie algérienne, Paris soutenant comme Alger la solution du référendum d’auto-détermination pour trancher l’imbroglio, une proposition inapplicable, compte-tenu du caractère nomade des populations sahraouies qui empêche la constitution d’un corps électoral fixe. Cette époque est révolue.
Contradictions et nouvelles possibilités pour la France
Ultime disruption de la présidence d’Emmanuel Macron, la transgression du principe d’intangibilité des frontières fait basculer la France dans un nouveau champ des possibles. Quelle peut-être la crédibilité de la parole de la France si elle reconnaît la légitimité des revendications territoriales du Maroc au nom de « droits historiques », tandis qu’elle conteste à la Russie l’annexion de territoires ukrainiens, présentés par Moscou comme historiquement russes ? Comment faire obstacle à la conquête de Taïwan par la Chine, alors que Pékin l’intègre dans sa vision d’une « Chine unie » ? Enfin, comment reprocher aux Comores leurs « droits historiques » sur l’île de Mayotte, département français ?
Seul un discours clair sur nos intérêts nationaux peut éviter à la France de tomber dans une contradiction intenable. La défense de l’Ukraine, comme le soutien à la marocanité du Sahara occidental sont nécessaires car ils permettent d’endiguer la progression de puissances (la Russie, soutenue par la Chine à l’est) et d’alliances (Alger/Moscou, Bamako/Moscou, Ouagadougou/Moscou, Niamey/Moscou) ouvertement hostiles à la France, dans son voisinage européen, méditerranéen et africain.
Reconnaître la singularité de la nation Kabyle permettrait d’affaiblir un voisin inamical
La transgression d’Emmanuel Macron sera utile, si elle est assumée jusqu’au bout. Reconnaître la singularité de la nation Kabyle permettrait, de ce point de vue, de peser sur les divisions algériennes et d’affaiblir un voisin inamical. Reconnaître le droit des Touareg à disposer de leur Etat, l’Azawad, permettrait de constituer une alliance forte avec un peuple dont le territoire est situé au sud de l’Algérie et au Nord du Mali, au cœur d’un espace dont les Etats sont alignés sur les intérêts de Moscou.
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