Grand entretien avec Alexandre Cormier-Denis, analyste politique, théoricien du renouveau du nationalisme québécois, cofondateur de Nomos TV et auteur d’Écrits nationalistes aux éditions Avant-Garde.
Ex-membre du Parti québécois (parti souverainiste classé à gauche), c’est une rencontre en 2016 avec Marine Le Pen conjuguée à l’absence d’une droite nationale au Québec qui vous poussent à quitter le PQ et à bâtir votre propre ligne politique à travers Horizon Québec Actuel, puis Nomos-TV. En mai 2024, vous signez votre premier ouvrage intitulé Écrits Nationalistes et préfacé par l’écrivain Renaud Camus, écrivain qui a donné son nom au phénomène du « Grand Remplacement ». Comment l’avez-vous convaincu ? Considérez-vous que le Québec fait, lui aussi, l’objet d’un remplacement de sa population autochtone par une population allogène ?
Je dois avouer que je l’ai contacté en me disant que les chances qu’il réponde favorablement étaient plutôt bien minces. Je me suis lourdement trompé.
Renaud Camus a accepté spontanément de préfacer mon livre. Je n’ai pas été déçu, car c’est véritablement une excellente préface brillamment rédigée ! En toute humilité, cet ouvrage mérite d’être acheté simplement pour cette longue préface qui est un riche résumé de la pensée politique du prolifique écrivain. La sympathie qu’éprouve Renaud Camus pour le Québec n’est certes pas pour rien dans sa décision enthousiaste de le préfacer. Par ailleurs, je profite de l’occasion pour réitérer que l’expression de « Grand Remplacement » fait directement écho à notre histoire nationale car son créateur s’est inspiré de ce qui est appelé dans notre historiographie le « Grand Dérangement » soit la déportation des Acadiens. Entre 1759 et 1780, plus de 10 000 Acadiens furent chassés de leurs terres par l’Empire britannique afin de donner ces territoires aux colons britanniques fraîchement débarqués. Dans les conditions insalubres de l’époque et la surcharge des bateaux, beaucoup d’Acadiens décédèrent et certains furent même mis en esclavage dans les Treize colonies américaines. Ce fut une véritable tragédie pour l’Amérique française.
D’ici 2040, 70% de la population des grands centres urbains canadiens sera non-blanche.
Si la situation de changement de peuple à l’échelle d’une seule génération ne se fait pas dans le contexte guerrier de la Guerre de Sept Ans comme l’ont connu les Acadiens, il n’en demeure pas moins que le remplacement de population par une immigration massive demeure le principal phénomène anthropologique des dernières décennies. Et contrairement à ce que certains aiment penser sur le continent européen ou aux États-Unis, le système canadien n’est en rien une panacée, bien au contraire. En vérité, selon les démographes les plus officiels de Statistique Canada, le Canada est le pays occidental qui subit les transformations ethno-démographiques les plus importantes de tout l’Occident. D’ici 2040, 70% de la population des grands centres urbains canadiens sera non-blanche. Les Blancs sont déjà minoritaires à Toronto et Vancouver et même si le remplaçant de Trudeau baisse légèrement les seuils d’immigration – ce qui n’est pas sûr – le système multiculturaliste canadien est institutionnellement conçu pour accommoder les nouveaux arrivants au détriment de la population native.
En utilisant un vocabulaire camusien, nous pourrions dire que le Canada est structurellement un État « remplaciste » puisqu’il a inscrit le multiculturalisme dans sa constitution. L’actuelle loi québécoise sur la laïcité de l’État – qui ne fait qu’empêcher les fonctionnaires en poste d’autorité de porter des signes religieux ostentatoires, c’est-à-dire les policiers, juges, procureurs de la couronne, gardiens de prison et enseignants – est contestée devant les tribunaux par les associations juives, musulmanes et sikhes comme une atteinte à la liberté de religion protégée par la Charte des droits et libertés canadienne elle-même incluse dans la constitution canadienne. La laïcité québécoise pourrait donc être invalidée par la Cour suprême du Canada d’ici quelques années. L’État fédéral canadien est donc structurellement, institutionnellement construit pour accommoder une immigration massive qui vienne transformer durablement le pays. Au Canada, les immigrés se font littéralement supplier de garder leurs coutumes d’origine et de ne pas s’assimiler à ce qui est déjà de toute façon une mosaïque de peuples que leur nouvelle présence ne va faire qu’enrichir. Notons qu’à ce sujet aucun des deux grands partis qui se sont divisés le pouvoir depuis 150 ans ne conteste en rien le modèle multiculturaliste canadien. Ni le parti de Justin Trudeau – qui vient d’annoncer sa démission – ni son parti rival conservateur n’ont aucunement l’intention de changer quoi que ce soit à ce niveau.
Notez cependant qu’en raison de l’existence des statistiques ethniques et raciales de Statistique Canada, les constats des démographes sur le changement de peuple ne sont donc pas fondamentalement remis en cause. Ce qui génère l’inquiétude médiatique repose sur la politisation de l’immigration et de ces changements démographiques qui sont perçus comme naturellement bons, naturels et sains. Ce n’est donc pas fondamentalement le constat qui cause problème au monde médiatico-politique, mais l’expression du refus de ce changement de population qui génère des cris d’orfraie de la part des journalistes et politiciens. Il faut aussi dire que dans la bouche de nos journalistes mal informés, le vocable « Grand Remplacement » a été réduit à une simple « théorie du complot » qui aurait comme thèse principale le fait que l’immigration massive soit explicitement organisée pour mettre en minorité les peuples occidentaux sur leur propre territoire. Affirmation fausse puisque la question de l’intentionnalité des organisateurs du changement de peuple n’a rien à voir avec le phénomène que décrit le Grand Remplacement, soit le changement de population en l’espace d’une seule génération. La question des intentions présumées des forces immigrationnistes – Renaud Camus dirait remplacistes – est en vérité distincte de celle du phénomène en tant que tel.
Il n’y a rien de complotiste à dire que de nombreuses associations syndicales et patronales, de nombreuses universités et organismes sans but lucratif font la promotion tous azimuts de l’immigration massive pour servir leurs intérêts propres et leur vision cosmopolite de la société. À tel point qu’il y a même un organisme, l’Initiative du Siècle, cofondé par des gens très proches du milieu des affaires et de la politique, notamment Dominic Barton nommé ambassadeur du Canada en Chine par Trudeau, qui promeut activement dans la sphère publique l’idée de faire du Canada un pays de 100 millions de Canadiens en 2100 par l’immigration massive. Considérant que le Canada comporte aujourd’hui 40 millions d’habitants – avec un ajout de 1,2 million en une seule année en raison de la politique migratoire folle du gouvernement Trudeau – il y a bien lieu de voir dans cet organisme une volonté de transformer en profondeur la nature même de la démographie canadienne pour en faire une dystopie cosmopolite mondialisée et un laboratoire du remplacisme global.
Le changement de peuple permet aussi au régime canadien de régler définitivement la question du séparatisme québécois en noyant démographiquement la population canadienne-française (…)
S’agit-il alors d’un complot ? Je ne le crois pas, car les complots sont ourdis derrière des portes closes avec des intentions cachées par des acteurs obscurs qui ne veulent en aucun cas révéler leurs sombres desseins. L’idée de transformer durablement le Canada par une immigration de remplacement n’est en rien « complotiste » puisqu’elle se fait au grand jour à la vue de tous, sans que ses acteurs ne tentent de s’en cacher. Pour couronner le tout, notons également que le changement de peuple permet aussi au régime canadien de régler définitivement la question du séparatisme québécois en noyant démographiquement la population canadienne-française qui porte le projet indépendantiste, principale menace existentielle à l’intégrité territoriale canadienne. Ce faisant, elle met également en minorité les Canadiens anglais « de souche » au sein de leur propre territoire. L’utopie cosmopolite canadienne servant ironiquement ici à préserver l’unité fédérale.
En 2025, le nationalisme québécois est encore synonyme de discours multiculturalistes et pro-immigration et vous restez l’unique figure incarnant la droite nationale québécoise. Comment expliquez-vous cela ?
Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis la seule figure incarnant une droite nationale québécoise, car il y a bien sûr d’autres personnalités médiatiques qui incarnent à leur façon ce courant : je pense ici à l’incontournable Gilles Proulx, mais aussi à d’autres voix qui s’élèvent dans la sphère médiatique comme Frédéric Lacroix, Nick Payne, David Santarossa, Rémi Villemure ou encore Étienne-Alexandre Beauregard. Cependant, il est vrai que le néonationalisme québécois issu des années 1960 est très marqué à gauche pour des raisons historiques puisqu’il a accompagné le bouleversement anthropologique qu’a été ce qu’on appelle la Révolution tranquille. Ce moment charnière de notre histoire est immanquablement lié à deux évènements : d’une part la mort de Maurice Duplessis qui aura régné de façon ininterrompue sur le Québec entre 1944 et 1959, incarnant le Québec traditionnel, conservateur et catholique désigné par la doxa médiatique comme « la Grande Noirceur » ; et d’autre part la victoire du Parti libéral de juin 1960 avec « l’équipe du tonnerre » de Jean Lesage et son flamboyant ministre René Lévesque qui signe le coup d’envoi de la Révolution tranquille. Cette dernière transforma à tel point le Québec qu’on peut y détacher trois caractéristiques principales qui seront déterminantes pour le nationalisme québécois et son ancrage à gauche :
Premièrement, la Révolution tranquille signe le passage d’un État très peu interventionniste, très favorable à l’implantation des entreprises américaines et très antisocialiste avant 1960 au développement d’un État social-démocrate particulièrement enthousiaste à l’interventionnisme économique et à la prise en main étatique des ressources naturelles, dont la nationalisation des compagnies d’hydro-électricité américaines représente l’archétype et l’ultime symbole dans la conscience collective québécoise. Ce « modèle québécois » qui est encore en vigueur aujourd’hui faisant du Québec l’État le plus social-démocrate d’Amérique du Nord est directement issu de la vision étatiste de l’économie révolutionnaire tranquille et s’y attaquer est encore vu comme une forme d’hérésie politique.
Deuxièmement, la mise en application du Rapport Parent de 1966 qui signa la fin du monopole de l’Église catholique sur les institutions d’enseignement marqua définitivement la sécularisation fulgurante du Québec en l’espace d’une seule décennie. D’une importance titanesque en 1960, l’Église québécoise devint une institution de second ordre en 1970. Ce qui peut paraître une ironie de l’histoire, mais qui est en vérité extrêmement révélateur de tout ce phénomène, repose sur le fait que c’est bien un évêque du nom de Mgr Alphonse-Marie Parent, recteur de l’Université Laval, qui présida le comité préconisant la sécularisation de l’instruction publique québécoise. Avant le Rapport Parent, point de ministère de l’Éducation du Québec, mais bien une Assemblée des Évêques qui décidaient du programme scolaire pour les Canadiens français catholiques du Québec. En vérité, contrairement au mythe révolutionnaire tranquille qui affirme que la société civile lutta contre l’influence de l’Église, ce sont les évêques eux-mêmes qui organisèrent le démantèlement de leur propre influence dans la foulée des bouleversements que connaissaient le catholicisme à l’échelle mondiale avec le conclave de Vatican II qui visait à mettre en phase l’Église avec le Monde. L’influence du personnalisme catholique critique de la trop grande influence cléricale n’y est pas pour rien comme l’ont démontré É.-M. Meunier et J.-P. Warren dans leur ouvrage Sortir de la « Grande noirceur ». L’horizon « personnaliste » de la Révolution tranquille. Cette fracture anthropologique entre une société profondément pénétrée de catholicisme, de la moindre association locale jusqu’aux grands syndicats nationaux (eh oui, même nos syndicats étaient catholiques !) à la société actuellement la plus sécularisée d’Amérique du Nord ne pourra jamais être assez soulignée afin de comprendre la métamorphose identitaire radicale qui forme le nœud gordien du passage entre les Canadiens français catholiques d’hier et les Québécois sécularisés d’aujourd’hui.
Troisièmement, et en lien avec la précédente réponse, la Révolution tranquille signe la transformation sémantique du nom de la nation elle-même qui passe de canadienne-française à québécoise, dans le but évident de relier l’identité nationale au territoire strict de l’État québécois pour mieux circonscrire le projet indépendantiste. Alors que la nation canadienne-française reposait bien évidemment sur une origine commune – celle des colons français de la Nouvelle-France – et sur le partage d’une religion commune – bien évidemment, le catholicisme – la notion de « québécitude » visait à moderniser le « vieux nationalisme réactionnaire » canadien-français pour le dépoussiérer et lui faire embrasser le patriotisme civique digne de la République américaine ou française. Avant 1960, personne ne pensait que les Canadiens anglais protestants du Québec faisaient partie intégrante de la nation. Avec le patriotisme civique québécois naissant, la dimension territoriale finira par l’emporter sur la définition purement ethnoculturelle et eut comme effet de « désethniciser » l’identité québécoise pour la mettre au diapason des différents patriotismes civiques occidentaux. Paradoxalement, cela n’a pas simplement eut pour effet d’agrandir culturellement la nation à des éléments qui en étaient alors exclus (anglophones, juifs, immigrés quelconques, etc.) mais également de la circonscrire territorialement en excluant les minorités canadiennes-françaises hors Québec. En forçant des gens qui ne se sentaient pas membres de la nation et en excluant brutalement ceux qui croyaient en faire partie, le patriotisme civique québécois a lourdement fauté par manque de rigueur intellectuelle et par naïveté politique.
Le cocktail était parfait pour voir émerger une hégémonie culturelle de gauche sur le patriotisme québécois pendant de longues décennies.
Pour rajouter une couche de complexité à cela, le néonationalisme indépendantiste s’est lui-même associé aux divers mouvements de décolonisation des années 1960, voyant dans la lutte des Québécois francophones « colonisés » et « aliénés » culturellement un écho aux diverses luttes d’indépendance du tiers-monde. Rajoutons à cela l’influence du courant « socialisme et indépendance » qui amenait une dose de marxisme à tout cela en plaquant la lutte de classe au combat national – la bourgeoisie anglo-capitaliste oppressant le prolétariat francophone – et le cocktail était parfait pour voir émerger une hégémonie culturelle de gauche sur le patriotisme québécois pendant de longues décennies. Notons par ailleurs que de nombreux régionalismes européens ont subi les mêmes influences délétères, que ce soient les nationalismes breton, corse, écossais ou encore catalan. Seul le séparatisme flamand semble avoir été épargné de la tiers-mondisation.
Les Québécois découvrent stupéfaits, eux qui se croyaient des « dominés », qu’ils appartiennent en fait à l’Occident blanc et chrétien tant honni par nos marxistes culturels locaux qui font les yeux doux aux minorités ethniques revanchardes (…)
Heureusement, nous voyons aujourd’hui un ressac de ce courant en raison des problèmes multiples causés par l’immigration extra-européenne. Les Québécois découvrent stupéfaits, eux qui se croyaient des « dominés », qu’ils appartiennent en fait à l’Occident blanc et chrétien tant honni par nos marxistes culturels locaux qui font les yeux doux aux minorités ethniques revanchardes formant la nouvelle « classe révolutionnaire » de la gauche qui a abandonné le prolétariat « de souche » à son triste sort que constitue le vote « réactionnaire » pour des partis « de droite ». Malgré le fait que nous n’ayons toujours pas de pays souverain et que nous formons une minorité nationale au sein de l’État fédéral canadien, les Québécois sont aujourd’hui vus comme des Blancs comme les autres et de ce fait, coupables de tous les maux de la Terre. Dans ce contexte, la dextrisation du nationalisme québécois est un phénomène en plein essor qui permet de jeter aux poubelles les vieilles lunettes périmées du tiers-mondisme socialiste inapte à percevoir les défis du XXIe siècle.
Écrits Nationalistes s’inscrit dans un héritage puisant ses racines chez Lionel Groulx, prêtre catholique et penseur nationaliste de la fin du XIXe siècle et non chez René Lévesque, journaliste, fondateur du Parti québécois et figure la plus citée par les nationalistes québécois depuis un demi-siècle. Lionel Groulx voyait le Québec, alors colonie britannique, comme le « foyer lumineux de l’Amérique française ». Pourquoi avoir choisi d’inscrire votre pensée dans la tradition groulxiste ?
Principalement pour les raisons évoquées plus haut : car le néonationalisme d’un René Lévesque reposait sur une définition très floue de la nation. En toute honnêteté, je ne suis même pas sûr que Lévesque se considérait lui-même comme nationaliste. C’était avant tout un social-démocrate qui avait évidemment une fibre patriotique envers son peuple, mais qui n’a jamais profondément réfléchi à la question de la définition nationale du nouveau peuple québécois qu’il voulait défendre. À la question posée par son adversaire Pierre Elliott Trudeau : « Qui donc est Québécois ? » Lévesque répondait en haussant les épaules que cette question ne l’intéressait pas…
De plus, pour bien faire comprendre le personnage, Lévesque a largement pris fait et cause pour l’indépendance algérienne et le FLN lorsqu’il était journaliste de Radio-Canada à tel point qu’il a été considéré persona non grata en Algérie par les autorités françaises. Lévesque était avant tout un homme de gauche, fortement imprégné de l’idée que la solidarité québécoise devait naturellement se trouver avec les « damnés de la Terre » pour citer Fanon. Il lui manquait une lecture civilisationnelle et anthropologique de la condition canadienne-française, car si nous étions un peuple certes dominé politiquement – nous le sommes toujours par ailleurs – nous sommes aussi – et c’est la complexité de notre condition nationale – également les héritiers de la colonisation française de l’Amérique. Ce que Lévesque ne réalisait pas, c’est que les Québécois sont en fait les descendants des « Pieds Noirs » nord-américains du XVIIe siècle qui ont réussi là où les Pieds Noirs algériens ont échoué. Notre nature de peuple conquis – je préfère parler de peuple conquis que de peuple colonisé car la colonisation implique une œuvre de civilisation que la Conquête de l’Angleterre n’a pas pratiquée sur nous – ne doit pas nous faire oublier que nous sommes d’abord un peuple de colonisateurs nous-mêmes, ayant porté la civilisation française, européenne et chrétienne en Amérique du Nord.
Il [Groulx] avait une vision charnelle de l’appartenance nationale et non pas une simple définition administrative de ce qui constituait le « nous » québécois.
La vision de Groulx était beaucoup plus complète car elle embrassait l’entièreté de notre condition nationale, de notre spiritualité catholique à notre avenir constitutionnel, notre condition économique et notre spécificité psychologique. Pour Lionel Groulx, la nation débordait les frontières du seul Québec, bien que ce dernier fût pour lui notre foyer national, car les minorités canadiennes-françaises réparties dans le reste du Canada, en Acadie, en Ontario ou dans l’Ouest, tout comme les Franco-Américains expatriés faisaient partie intégrante de la nation. Il avait une vision charnelle de l’appartenance nationale et non pas une simple définition administrative de ce qui constituait le « nous » québécois. Malgré le temps passé, son analyse en profondeur de la condition nationale des Canadiens français est d’une telle pertinence qu’elle n’a guère pris de ride. Les circonstances changent, les affects nationaux demeurent.
Parce que Groulx voulait éviter la division stérile des Canadiens français en différentes factions politiques, on l’a souvent accusé d’être un penseur apolitique. Rien n’est plus faux. Groulx avait compris que nous étions un peuple beaucoup trop faible pour nous diviser inutilement sur des querelles accessoires et qu’il fallait au contraire faire converger les énergies collectives sur les sujets essentiels. La récente Anthologie politique de ses écrits que j’ai eu l’honneur de préfacer démontre bien au contraire toute la puissance d’analyse du personnage qui demeure encore aujourd’hui l’intellectuel le plus important que le Québec a connu au XXe siècle.
L’année dernière, votre invitation à présenter votre Manifeste pour une politique d’immigration responsable devant la Commission parlementaire des relations avec les citoyens a été arbitrairement annulée. Récemment, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec vous a contacté afin de diffuser votre Manifeste pour une reconnaissance du Québec comme État-nation du peuple canadien-français. Est-ce un signe encourageant ? Le nationalisme de droite a-t-il une chance d’émerger au Québec comme courant politique à part entière ?
Pour mieux situer le lecteur, disons tout d’abord qu’en automne 2023 j’ai présenté un mémoire lors de la consultation publique sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2024-2027. Tout citoyen ou organisation pouvait présenter un mémoire au groupe de parlementaires qui devaient prendre note de l’avis de la population dans le cadre de ses consultations. Les dépositaires des mémoires pouvaient alors être convoqués aux auditions publiques à l’Assemblée nationale du Québec. J’ai donc présenté un simple mémoire comme citoyen et j’ai été également convoqué. Deux jours avant mon audition publique, un média d’extrême-gauche s’est emparé de l’affaire en criant au scandale en raison de ma présence et le lendemain, tous les médias du Québec ont relayé la nouvelle en mettant une pression sur les élus afin qu’ils annulent ma convocation, ce qui fut fait la journée même, « l’affaire » remontant même jusqu’au premier ministre du Québec. Sans véritable justification, ma convocation fut donc annulée la veille de mon audition présumée. Par ailleurs, il y eu sur cette affaire un effet Streisand, puisque mon mémoire – qui demeure encore aujourd’hui accessible sur le site de l’Assemblée nationale – eut un écho retentissant dans les médias qui mêmes hostiles à ma présence, reconnurent la qualité de sa rédaction. En vérité le mémoire a probablement été celui qui a été le plus lu de toute la consultation. Il n’y avait bien sûr rien de scandaleux ou qui allait à l’encontre des principes mêmes de la démocratie parlementaire québécoise. Cette hystérie politico-médiatique a démontré toute la puissance du quatrième pouvoir qui parvient à empêcher une simple audition publique d’un citoyen critique de l’immigration massive, mais cela a aussi révélé la faiblesse des arguments du discours immigrationniste qui ne repose que sur la censure et la contrainte médiatique. Dans ce mémoire, je ne faisais qu’évoquer la fragilité démographique du Québec, les raisons qui expliquent les politiques migratoires passées et actuelles et des pistes de solutions pour sortir de la logique immigrationniste dans laquelle le Québec s’est enfermé.
Le second mémoire que j’ai déposé lors de la consultation publique sur les enjeux constitutionnels du Québec en automne 2024 visait un tout autre objectif : celui de présenter une synthèse des arguments faisant du Québec l’État-nation des Canadiens français, entendu ici comme les descendants des colons français ayant bâti la Nouvelle-France, puis le Canada français et finalement le Québec. J’avançais également des arguments pour harmoniser la législation québécoise au sujet de la relation entre les termes de peuples et nations, et des rapports entre la majorité canadienne-française, les Premières nations autochtones et Inuits, la minorité canadienne-anglaise et les immigrés. J’insistais particulièrement sur le fait que le seul peuple n’ayant pas de reconnaissance statutaire dans la législation québécoise était le peuple majoritaire canadien-français et qu’il fallait rapidement y remédier. Les consciences ne sont peut-être pas encore prêtes à entendre une redéfinition ethnonationaliste de la nation, mais cela est en train de changer doucement considérant que le patriotisme civique est en voie de devenir de plus en plus une coquille vide qu’il faudra remplir par le véritable terme qui désigne le peuple majoritaire du Québec, soit les Canadiens français. Remarquons que la présentation de ce mémoire ne causa pour sa part aucun remous, probablement en raison de l’absence d’auditions publiques. C’est peut-être également le signe qu’à force de s’imposer dans l’espace institutionnel démocratique, les idées ethnonationalistes se normalisent lentement mais sûrement au sein de la société civile.
Le récent scandale de l’école Bedford a révélé la progression de l’entrisme islamique au sein de la société québécoise. Qu’attendre d’un gouvernement qui adopte le principe d’une laïcité qui a failli à contenir ce phénomène en France, et est enlisé dans le modèle multiculturaliste canadien ?
En effet, le mode de gestion des minorités religieuses, que ce soit la « laïcité à la française » ou le « multiculturalisme à l’anglo-saxonne » n’empêche pas les effets du changement de peuple et donc de civilisation sur les sociétés occidentales. Avant d’être un problème institutionnel, l’islamisation de nos sociétés civiles est avant tout un problème démographique. Deux dimensions de ce problème se posent à nous : d’une part nos critères d’immigration qui ne sont pas basés sur des données civilisationnelles et d’autre part, la présence de larges pans de nos sociétés nés sur le sol national qui n’appartiennent pas à notre civilisation.
Sur la question de l’immigration, il faudrait être en mesure de mettre en place des critères de sélection de l’immigration qui puissent trier selon non seulement la compétence des individus recrutés, mais également leur provenance géographique. Nos pays occidentaux n’ont pas à devenir des dystopies cosmopolites où cohabitent l’entièreté des ressortissants de la Terre entière. L’assimilation est possible et même souhaitable pour des ressortissants de pays appartenant à la même civilisation occidentale. Afin de parvenir à changer les critères de sélection de l’immigration, il faudra bien sûr affronter la doxa antidiscriminatoire de la gauche qui est bien souvent enracinée dans les droits nationaux et parfois même supranationaux si nous pensons au droit européen pour les pays de l’Union européenne. C’est donc une réforme du droit qu’il faudra immanquablement faire pour changer nos législations afin de mettre en place des critères de compatibilité civilisationnelle pour sélectionner l’immigration.
Le renvoi au pays d’origine des populations inassimilées et inassimilables ne pourra faire l’économie d’une certaine refonte du droit de nos pays respectifs.
La question de la présence de nationaux qui n’appartiennent pas à notre propre civilisation sur le territoire national est plus épineuse, car elle implique d’évoquer la question du départ volontaire ou non de pans entiers de la population qui n’auraient jamais dû s’établir sur le sol national. On peut penser que des incitatifs financiers peuvent être mis en place pour encourager un retour volontaire vers le pays des ancêtres, mais cela impliquerait bien sûr de s’assurer que ces populations ne reviennent pas légalement ou illégalement au pays quelques semaines, mois ou années plus tard. Il faut aussi envisager les mesures qu’il faudra mettre en place pour forcer les États du Sud à reprendre leurs ressortissants. Cela pourrait évidemment inclure et de façon non exhaustive la fin des aides humanitaires, la fin des subventions de toutes sortes, le gel des avoirs des dirigeants dans nos pays ou l’interdiction pour eux de se faire soigner chez nous, etc. Mais en vérité, tout comme pour le resserrement des critères d’immigration, le renvoi au pays d’origine des populations inassimilées et inassimilables ne pourra faire l’économie d’une certaine refonte du droit de nos pays respectifs. C’est un vaste chantier auquel il faudra inévitablement s’attarder plus que tôt que tard.
Vous avez déjà rencontré Marine Le Pen. Quel autre politique français souhaiteriez-vous accueillir au Québec et pourquoi ?
Emmanuel Macron bien sûr !
Blague à part, j’aimerais quand même un jour m’entretenir avec Éric Zemmour pour qui j’ai une grande estime en raison de son travail d’éveilleur de conscience national qu’il a eut pour beaucoup de Français mais également de Québécois, notamment sur sa défense du fameux choc des civilisations et sa critique radicale du phénomène migratoire sur les plateaux de télé pendant des décennies. Notons par ailleurs que son arrivée en politique française a eu pour effet de recentrer considérablement le Rassemblement national qui avait l’air soudainement d’être un parti raisonnable à défaut d’être définitivement entré dans « l’arc républicain », exclusion d’ailleurs incompréhensible à mes yeux puisque ni le Front national de Jean-Marie Le Pen qui nous a quittés récemment, ni le Rassemblement national de Marine Le Pen n’ont jamais mis en danger la république française.
Les Français forment un peuple explosif dont l’importance historique et géopolitique peut encore changer de façon substantielle le cours de l’histoire européenne, occidentale et mondiale.
J’ai également été agréablement étonné de la radicalité idéologique et de l’aisance médiatique de Sarah Knafo depuis son élection au Parlement européen dans le nouveau groupe L’Europe des Nations souveraines (ENS) où elle siège désormais avec l’Alternartive für Deutschland (AfD). Je m’attendais à entendre une énième personnalité politique souveraino-souverainiste plutôt timide sur la question démographique et identitaire. Elle s’est révélée être très agressive sur ces questions, allant beaucoup plus loin que le RN sur tous les sujets d’importance : identité, immigration, islamisation, insécurité et même l’économie où elle s’attaque aux dépenses excessives de l’État. Qui sait jusqu’où elle ira ? La vie politique française peut encore nous réserver de belles surprises car malgré tout, les Français forment un peuple explosif dont l’importance historique et géopolitique peut encore changer de façon substantielle le cours de l’histoire européenne, occidentale et mondiale.
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5 commentaires
Passionnant! Je me rends compte à quel point j’ignorais la situation de nos cousins quebecois
Très bon article et en plus on apprend un peu plus de ACD qui est plus dans un ton cynique et sarcastique habituellement
Je trouve le passage sur l’histoire du Québec très intéressant !
Qui est l’humoriste auteur de la citation suivante ?《 Vive le Québec libre ! 》
A – De gaulle
B – Bébert le bûcheron
C – Donald Trump
« L’appel de la forêt » avec Omar Sy c’est tourné au Québec ou en wokistan ?