Située à proximité immédiate de la frontière avec la France, à 8 km de Menton, la ville de Vintimille a, entre 2011 et 2023, traversé l’une des plus grandes crises migratoires jamais connues pour une petite municipalité du littoral européen. En 2023, ils étaient encore 44 000 à tenter de rejoindre la France via la commune azuréenne. C’est dans ce climat tendu que 56% des Vintimillais ont porté Flavio Di Muro, un ancien parlementaire de la Ligue au discours volontariste, à la tête de la ville-frontière. C’est un an après son élection que notre rédaction a souhaité se déplacer à Vintimille afin de rencontrer cet édile. L’occasion de dresser le bilan de son action auprès d’une population qui se disait sinistrée.
Loup Viallet, directeur de Contre-Poison – Vous avez été élu maire de Vintimille il y a un an. Quelle était la situation migratoire de la ville ?
Flavio Di Muro – Une situation désastreuse. J’ai été élu maire de Vintimille il y a un an et il y avait environ 300 immigrants dans la ville.
Avec le contexte international de l’époque, qui n’est pas le contexte actuel, j’ai dû m’organiser pour améliorer une coexistence qui était difficile, et même impossible, entre migrants et résidents. J’ai dit que ma priorité, en accord avec mes idéaux et mes principes, n’est pas l’accueil mais la rigueur vis-à-vis des activités illégales menées par les migrants. Ces derniers, qui, au-delà de fuir la guerre ou de chercher à aller en France ou à rester en Italie, doivent dans tous les cas bien se comporter dans la ville qui, même si ce n’est pas par sa volonté, se retrouve à les accueillir temporairement. Et donc leur arrivée n’a pas à peser sur mes concitoyens, qui ne doivent pas avoir peur de vivre dans leur ville, et ce, de jour comme de nuit.
Mes policiers sont passés d’une police de la circulation au sifflet à une véritable force de police
J’ai prévu toutes les actions et outils possibles, dont certains sont innovants pour une municipalité italienne, afin de créer un frein à ces phénomènes de délinquance. Par exemple, j’ai produit un arrêté qui interdit non seulement la vente d’alcool après 22 heures comme prévu auparavant, mais aussi la consommation d’alcool et de boissons gazeuses dans des bouteilles en verre. Cette ordonnance, au lieu de sanctions que les migrants ne payent pas de toute façon, prévoyait également l’utilisation de personnels pour ramasser les bouteilles de bière et les jeter à la poubelle. Pour ce faire, j’ai dû augmenter les effectifs de la police locale, donc de mes policiers, qui sont passés d’une police de la circulation au sifflet à une véritable force de police.
Certains quartiers de la ville avaient été abandonnés à eux-mêmes
Pour faire respecter cet arrêté, nous sommes allés mettre un terme à toutes ces situations de harcèlements, de bivouacs et de campements illégaux. Certains quartiers de la ville avaient été abandonnés à eux-mêmes. Les jardins publics, par exemple, étaient des endroits où les migrants campaient illégalement. Avec une excellente collaboration avec la préfecture de police et les préfectures, et donc avec le gouvernement italien, nous avons augmenté le personnel de la police et organisé des garnisons fixes et mobiles. A l’intérieur des parcs, il y a des voitures qui les contrôlent, les identifient et empêchent la consommation d’alcool. Ainsi, un an plus tard, il n’y a plus de campements et de bivouacs dans les jardins. En parallèle et en collaboration avec un particulier qui a des activités économiques dans les jardins, nous avons effectué un travail de réaménagement. Aujourd’hui, il y a des fontaines, de l’herbe et à nouveau des jeux pour les enfants.
Même chose pour le théâtre municipal. Il y a un an, des migrants se couchaient devant l’entrée avec des bouteilles, si vous vous promenez maintenant, vous voyez des voitures de police qui gardent notre zone piétonne.
Dans ce cimetière où reposent nos proches, des migrants allaient uriner et déféquer sur les tombes
Une action qui a fait l’objet de débats, mais que je revendique et maintiendrai quel qu’en soit le prix pour tout ce mandat, c’est le fait d’avoir placé des gardes armés devant le cimetière. Avant, dans ce cimetière où reposent nos proches, des migrants allaient uriner et déféquer sur les tombes. Ils sont allés jusqu’à attaquer des personnes âgées à de multiples reprises, calculant que le cimetière est l’endroit où vont la plupart des anciens et donc qu’il est plus facile d’y commettre des vols et des agressions. Nous avons gardé l’entrée du cimetière avec des gardes armés et nous avons résolu le problème [entre septembre et octobre 2023, 1305 interventions ont été conduites pour éloigner les migrants du cimetière de Roverino].
Puis, nous avons grillagé et emmuré les bâtiments municipaux et les propriétés privées qui étaient le théâtre de bivouacs et de situations illégales. Ainsi, un an plus tard, nous avons résolu la plupart des situations les plus graves. Il reste encore beaucoup à faire dans le quartier de Roverino et Gianchette sur lequel nous travaillons, qui sont les endroits où se concentrent aujourd’hui la plupart des migrants, lesquels sont passés de 300 à 50. La situation est toujours sous vigilance, mais aujourd’hui elle absolument gérable. On ne baisse pas la garde.
Quelle place occupe la sécurité dans la gestion de votre emploi du temps ?
C’est pour moi la priorité, dans le sens où la sécurité est un bien primordial qui doit être protégé et garanti. Je ne vais pas résoudre cette affaire en disant que ce n’est pas la compétence d’un maire, d’une administration dédiée à la sécurité. C’est vrai, ce n’est pas le cas, mais ce que l’on pouvons faire, nous le faisons, nous investissons des ressources et nous prenons des risques. Moi-même, je prends des décisions qui engagent ma sécurité personnelle. Je dois dire que sans la collaboration qu’il y a eu avec les autres organes de l’État, nous n’aurions pas obtenu l’augmentation des effectifs de la police et le renforcement de leurs moyens d’action. Par exemple ces jours-ci, le Taser à impulsions électriques sera fourni à la police locale.
Notre municipalité sera la première d’Italie à utiliser le Taser avec dix décharges électriques
Notre municipalité sera la première d’Italie à utiliser le Taser avec dix décharges électriques au lieu de deux. Bien sûr, nous n’espérons pas l’utiliser, mais en cas de nécessité comme je l’ai dit : il devra être utilisé car il est inacceptable que des passants puissent être harcelés ou attaqués. Heureusement, le phénomène est aujourd’hui limité, mais dans une ville comme Vintimille, je ne peux pas envoyer sur le terrain des policiers locaux avec une arme à feu ou risquer leur vie à mains nues. Il n’y avait pas de Taser, ils ont été introduits, il n’y avait pas de caméras et cet été, nous équiperons la ville de plus de 85 caméras.
Comment élaborez-vous votre doctrine de sécurité municipale ? Y-a-t-il des modèles dont vous vous inspirez ?
Non, il y a un modèle parce qu’il faut connaître en profondeur les problèmes de cette ville et le phénomène de la migration internationale pour comprendre comment le gérer. Heureusement, avant de devenir maire de Vintimille, j’ai eu diverses expériences dans ma vie. J’ai été parlementaire, membre de la Commission de l’immigration de la Chambre de commerce Schengen et d’Europol où j’ai pu approfondir cette question. C’est à des responsables de la police que je m’adresse pour obtenir des conseils et des suggestions, et puis j’ai développé une intense collaboration avec le préfet d’Imperia.
Il y a encore des zones grises, le Pas de la mort et les lits des rivières où les immigrés séjournent ou passent et jettent leurs vêtements
Il est clair que, grâce à mon expérience et au parti politique dont je suis issu, j’ai d’excellentes relations en la matière avec le gouvernement, les ministres et les sous-secrétaires. J’essaie toujours de discuter avec eux aussi pour obtenir des propositions. La dernière en date concerne les déchets. Nous avons un cahier des charges pour nettoyer la ville comme toutes les municipalités italiennes pour les déchets produits par les résidents, les bars, les restaurants. Il y a encore des zones grises, le Pas de la mort [sentier escarpé entre Grimaldi et Menton] et les lits des rivières où les immigrés séjournent ou passent et jettent leurs vêtements.
Je ne peux pas détourner mes agents municipaux pour aller nettoyer ce que les immigrants laissent autour de Vintimille. C’est un phénomène qui se produit à Vintimille, Lampedusa, Trieste. Avec l’ANCI, l’Association Nationale des Communes Italiennes, avec qui j’ai d’excellentes relations, j’ai étudié une règle de contribution envers les municipalités frontalières, c’est-à-dire celles qui ont ce type de problème. Grâce au soutien du gouvernement, et en particulier du ministre Piantedosi et du sous-secrétaire Molteni, un décret a été pris, lequel reconnaît ces contributions aux municipalités et aux préfectures. Nous allons maintenant élaborer un plan d’action spécifique pour nettoyer ces zones urbaines des déchets dus aux migrants.
Corridor de l’immigration illégale, Vintimille dispose aussi d’une spécificité géographique atypique. La commune est située à une vingtaine de kilomètres de l’État qui détient le record mondial du PIB le plus élevé par habitant et dont un résident sur deux est millionnaire : la principauté de Monaco. Enclavée à l’extrême sud-est du territoire français, Monaco est membre de la zone euro mais n’adhère pas aux principes de l’espace Schengen.
La sécurité fait-elle partie du dialogue transfrontalier que vous entretenez avec les autres communes du littoral ?
Le maire de Menton n’a pas mis les pieds dans la mairie de Vintimille depuis 1992 alors que nous sommes voisins
J’ai d’excellentes relations avec la commune de Menton. Quand je pense que le maire de Menton n’a pas mis les pieds dans la mairie de Vintimille depuis 1992 alors que nous sommes voisins et ce, pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici…
Avec les autres communes voisines, comme par exemple la principauté de Monaco, on parle de développement économique, de tourisme, de transport et d’infrastructures. On ne parle pas de sécurité et d’immigration parce que ce n’est pas de leur compétence. J’assume, comment dire, une compétence qui n’est pas la mienne, eux s’occupent de leurs propres compétences.
Sur le plan purement organisationnel, il y a des accords bilatéraux entre la police des frontières italienne et la gendarmerie française pour gérer des bureaux communs sur le pont Saint-Louis.
La notoriété de Vintimille est intimement liée au drame migratoire qu’elle a traversée. Peut-on redresser la réputation d’une ville aussi profondément marquée dans les représentations collectives ?
Pour relancer une ville, il est nécessaire de lui redonner une image.
L’image de Vintimille tend aujourd’hui vers l’apaisement car, s’il nous est impossible de résoudre un problème international, la ville, quant à elle, s’est beaucoup calmée sur le plan sécuritaire. Nous travaillons sur une autre question sur laquelle nous rencontrons beaucoup de difficultés, la question de la propreté urbaine, du nettoyage urbain et des ordures. Nous avons avancé, mais je ne suis pas encore satisfait. Lorsque la ville est sûre et propre, qu’elle a une image parfaite, elle peut attirer des investissements de qualité même du secteur privé. Nous avons besoin d’une politique touristique.
Nous avons l’ambition de passer d’une ville commerciale à une ville touristique
Vintimille est une ville purement commerciale qui vit grâce à ses voisins Français venant acheter principalement des bouteilles, des cigarettes, etc. Elle ne peut pas vivre uniquement de cela. Nous avons l’ambition de passer d’une ville commerciale à une ville touristique. Avec cette administration, à partir de cet été nous commençons une véritable politique touristique. Nous triplons les services d’information touristique, les points de yachts, nous avons lancé un nouveau site web également traduit en français, ventimiglia.it ainsi qu’un calendrier de 100 événements… Et surtout, maintenant que l’image de la ville s’est améliorée, je suis allé promouvoir des investissements de qualité qui pourraient porter le nom de Vintimille en dehors de ses frontières pour enfin avoir une image positive et non négative liée à l’immigration.
Avec Flavio Briatore [résident monégasque], nous venons d’ouvrir le nouveau Twiga à Vintimille, après Munich, Londres, Doha, Forte dei Marmi [mais aussi Monte-Carlo, Dubaï], notre ville compte l’une des icônes du tourisme dans le monde entier. Je crois que ces nouvelles qui suivent ce travail administratif en termes d’image de la ville et de services touristiques peuvent faire redécouvrir aux habitants de Vintimille la fierté de ressentir Vintimille et rendre Vintimille aussi grande qu’elle mérite d’être.
L’Europe, malgré Schengen, pourrait-elle, si elle le souhaitait, décider de qui rentre ou sort de l’UE ?
Le nouveau gouvernement européen a une vision idéologique de gauche, bienveillante, orientée vers l’accueil, vers les idées, vers des concepts qui sur le papier sont beaux mais qui se heurtent ensuite à la réalité. J’invite les hauts solistes de la Commission européenne qui vivent à Bruxelles à vivre dans le quartier de la Gianchette de Vintimille ou à Lampedusa.
J’invite les hauts solistes de la Commission européenne à vivre dans le quartier de la Gianchette
Nous avons besoin d’une politique commune de soutien aux pays riverains de la Méditerranée afin que le débat ne se pose pas seulement aux frontières intérieures entre l’Italie et la France. Sur l’afflux des migrants, il faut qu’il y ait une gestion dans les pays d’origine, dans les pays de transit et dans les pays de débarquement des migrants pour essayer de mettre des freins là où c’est possible afin de ne pas avoir à gérer seulement le problème entre nous. Parce que s’il y a un concept à protéger qui est à la base de la naissance de l’Europe, c’est Schengen, la libre circulation des personnes.
Si nous voulons croire en l’Europe, il ne doit pas y avoir d’obstacles à l’intérieur de celle-ci
Et je ne parle pas seulement des migrants, je parle de vous qui êtes venus ici aujourd’hui et qui, si nous recommençons à mettre en place des barrages sur le pont Saint Ludovic, devrez faire la queue pour qu’on puisse vérifier qui est à l’intérieur du coffre de votre voiture. Ou même des frontaliers italiens qui vont travailler dans la principauté de Monaco et qui seront arrêtés et contrôlés. Disons que si nous voulons croire en l’Europe, il ne doit pas y avoir d’obstacles à l’intérieur de celle-ci. Pour ce faire, il faut que chaque gouvernement s’assure de l’identité et des possibilités d’intégration de ceux qui entrent sur son sol. Pour garantir tous ces principes et cette sérénité au sein de l’Union européenne, nous avons besoin d’un renouvellement des relations entre les pays surplombant la Méditerranée.
Quelles politiques devraient être menées à l’échelle de l’Union européenne pour maîtriser efficacement les flux migratoires ?
Ici, à Vintimille, j’ai le doigt sur le pouls des flux migratoires, des pays d’origine, des mois où les migrants débarquent, par la route méditerranéenne ou par la route des Balkans pour rejoindre la France, puis d’autres pays. Ce n’est pas un problème vintimillais ni un problème mentonnais, car les migrants transitent par Vintimille comme ils transitent par Menton.
La nouvelle Commission européenne devrait examiner attentivement ce qui fonctionne, et essayer d’en adopter les méthodes, peut-être avec des ressources de l’Union européenne, sans que cela ne pèse sur les budgets de chaque pays, au lieu de faire des projets abscons qui n’intéressent personne, des maisons vertes, des voitures électriques. Et ne pas laisser les pays seuls pour conclure des accords individuels avec des États individuels, parce que l’Italie a un problème avec Lampedusa, la France a aussi des relations postcoloniales à résoudre, l’Espagne a le Maroc en face d’elle, maintenant le flux s’est déplacé plus vers la partie Maroc-Espagne que vers la partie Tunisie-Libye-Italie.
Cela peut aussi changer à l’avenir, nous avons de la chance parce que nous avons un gouvernement de centre-droit capable d’agir. Cependant, nous ne pouvons laisser à chaque État le soin de s’occuper de ces questions, car il s’agit de questions de nature européenne et internationale. J’espère que nous commencerons avec la nouvelle Commission européenne à faire le point sur les bonnes choses. Une idée très critiquée de notre gouvernement a été d’essayer de créer en Albanie des endroits où les migrants pourraient être raccompagnés puis expulsés. Plus de critiques sont venues d’Europe que de demandes d’études approfondies ou de soutien. Espérons que cette mentalité change.
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